Août 2014. Un château célèbre, une maison de retraite qui ferme, des archives qui s'ouvrent. Une épaisse liasse composée de petites fiches attrape le regard. On y lit : " Buveur impénitent ", " impulsif et violent ", " malade mentale ", " insulte au personnel ", " trublion de la pire espèce ", " à ne jamais reprendre ". Ces formules expéditives stigmatisent des centaines de pensionnaires étant partis, volontairement ou non, entre 1956 et 1980.
L'historienne fait surgir de cette source les pratiques gestionnaires d'une institution en charge de personnes âgées, les scandales de la vie d'hospice, mais aussi une galerie de portraits, des trajectoires singulières, toutes marquées par les guerres et les crises du XXe siècle. Le fichier de Villers-Cotterêts permet d'entrer de plain-pied dans une histoire discordante de l'État social et de mettre en lumière la persistance de la disqualification des vieux pauvres.
Qui sont ces femmes et ces hommes âgés qui ont suffisamment dérangé pour susciter un dispositif disciplinaire de papier spécifique pendant plus de vingt ans ? Quelle histoire nous livre l'administration de ces " indésirables " ?
2022-09-30 - Brigitte Bègue - ASH
Innovant méthodologiquement, son travail est exemplaire à la fois par sa manière d'être au plus près des sources, par sa capacité à éviter les généralisations et par son souci de nuancer ses analyses ; évitant le piège du livre-scoop, l'historienne nous offre une très fine histoire sociale de ces vieilles et vieux maltraités des trente glorieuses, de cette " vieillesse pauvre " évacuée de la mémoire collective. [...] La finesse des analyses qu'elle déploie, notamment par la déconstruction de la notion de discipline (sans la minorer, bien au contraire), poursuit et enrichit cette quête de savoir qu'appelait de ses vœux Philippe Ariès.
2022-10-12 - Philippe Artières - En attendant Nadeau
Derrière l'apparition, l'enrichissement puis la disparition du fichier, on peut lire l'histoire heurtée d'une institution de relégation qui, bon an mal an, emprunte le chemin de " l'humanisation " au tournant des années 1980. À travers les fiches, se dessinent aussi les contours de la déviance des vieux pauvres. L'abus d'alcool et la maladie mentale côtoient la tendance à la revendication et à l'insatisfaction, qui rompt le contrat implicite de l'assistance : docilité et gratitude contre subsistance. Le livre met ainsi en lumière les mécanismes par lesquels l'État social continue, au cœur des Trente Glorieuses, à fabriquer des indésirables.
2022-11-01 - L'Histoire
Avec beaucoup de rigueur, l'autrice dégage des traits communs - alcoolisme, violence verbale ou physique, différentes formes d'insoumission et de désobéissance, indifférence aux sanctions, etc. Mais, bien au-delà, elle donne de l'épaisseur à ces existences minuscules de vieilles personnes des classes populaires, dont le parcours, souvent fait d'épreuves et de souffrance - deux guerres, une crise, de fréquentes ruptures biographiques - les a conduites à " finir à Villers-Coterêts ".
2022-11-24 - Claude Moro - L'anticapitaliste
Voilà longtemps que l'histoire sociale a levé le voile sur des groupes traditionnellement oubliés dans les grands récits du passé. Mais les personnes âgées restaient invisibles, écartées par la recherche comme elles l'étaient dans la société, à plus forte raison pour les classes populaires prises en charge en hospice. Après une thèse consacrée à la question pour le XIXe siècle, Mathilde Rossigneux-Méheust s'est emparée d'une exceptionnelle série de documents pour proposer un portrait précis et sensible de trois cents pensionnaires fichés par une maison de retraite dans l'après-guerre. Précarité sociale, fragilité mentale, tentatives de fugue mais aussi protestations contre les mauvais traitements ressortent d'une enquête méthodologiquement exemplaire, à laquelle le scandale des Ehpad donne un puissant écho.
2022-11-25 - André Loez - Le Monde
Introduction
La fabrique des " indésirables "
La fiche, un outil de travail
Un fichier parmi d'autres
Les circuits de l'information disciplinaire
" À ne pas reprendre "
Des difficultés de recrutement
1956, entre innovation administrative et tour de vis disciplinaire
Reine E., Ernest E. et Jean Le E., premiers fichés
Tourner et retourner les trois premières fiches
Reine E., l'insoumise
Ernest E. ou l'impossible maintien
Jean Le E., les " fugues répétées "
Dépasser la fiche
En marge ?
La vulnérabilité en partage
" Nomadisme " institutionnel
Une expérience frontale de la discipline
" 150 % d'indésirables "
Buveurs et buveuses
Portrait de groupe
Usures
Coups d'éclat
L'ivresse en sourdine
Une vieille rengaine
Entre le cagibi et les plantes vertes
" Demi-fous "
Sur la sellette
Sur les traces de " Petit Pote " et de la " vieille demoiselle austère "
" Par moment c'est bien dur à tenir "
" A l'origine de difficultés dans le service "
Insatisfaits
Du bruit mais peu de vagues
" Ecrivassier "
L'" ennuyeux "
" Rien ne lui convient " : la fabrique du discrédit
Scènes de la vie conjugale
Mobilités conjugales à l'hospice
La mésentente comme motif de fichage
Marcel et Marcelle : le cumul des stigmates
Usages et usure
Fichés, fichus ?
Fichés, mais pas dans le fichier
Recalés et repêchés
Henri N., un électron libre ?
Listes noires dans l'assistance
Fin du fichier, fin d'une époque ?
La raréfaction des indisciplines ?
Pénuries
Une disparition inscrite dans le chantier de l'humanisation
Conclusion
Notes de fin
Bibliographie sélective
Remerciements