Il est des cartes qui disent non. Des cartes radicales, qui dévoilent et dénoncent, qui protestent. Pour comprendre ces cartes rebelles, leur fonctionnement, leurs forces, leurs possibilités, ce livre entreprend un voyage d'exploration au cœur de la création cartographique. Que se passe-t-il exactement quand nous élaborons une carte, qu'elle soit radicale, expérimentale (on parle aussi de cartographie critique ou de contre-cartographie) ou conventionnelle ? Quelles intentions président à sa fabrication et à sa mise en oeuvre ?
La première fonction des cartes est de nous aider à nous repérer dans l'espace et à nous déplacer d'un point à un autre. Elles permettent aux bateaux de naviguer et aux avions de voler. Avec des cartes, on fait la guerre, puis éventuellement la paix. Elles sont aussi de formidables machines à rêves, qui façonnent notre image du monde, en fixent la mémoire et finissent par fabriquer notre réalité. Qu'est-ce qui motive cet acte très particulier de mise en forme symbolique du monde, de Strabon à l'anarchiste Élisée Reclus, de la bénédictine Hildegard von Bingen à l'explorateur Alexander von Humboldt, des portulans à la carte d'état-major ? Quelle part de fantaisie créatrice, quelle part de fantasme faustien d'une possible maîtrise de notre environnement, quelle part de sincérité scientifique sont-elles à l'oeuvre ?
Entre l'émergence de la cartographie thématique audacieuse de l'ingénieur Charles-Joseph Minard, ou celle des designers d'information Otto et Marie Neurath, et l'approche sémiologique conceptuelle de Jacques Bertin, se situe un point de rupture avec les conventions de la représentation cartographique. Un point libérateur qui a ouvert le champ de l'expérimentation et rendu possible la démocratisation des cartes. Autour des années 1900, le sociologue W. E. B. du Bois et son équipe inventaient de nouvelles façons graphiques de représenter des données statistiques sur la situation des personnes noires aux États-Unis. Quelque soixante ans plus tard, c'était pour dénoncer le même racisme culturel et économique qu'un petit institut de géographie de Détroit, animé par William Bunge et Gwendolyn Warren, donnait ses contours à ce qui deviendra la géographie radicale : une géographie engagée.
Alors, le rapport à l'objet carte change. S'opère une prise de conscience quant à son usage et à ses possibilités. La cartographie radicale va spatialiser les données économiques et sociales, produire des cartes délibérément politiques qui montrent et dénoncent les situations d'inégalités de vie et de droits, les compromissions politico-économiques, les accaparements de terres, la destruction des milieux par l'agro-industrie, la pollution de la planète et tout ce qui hypothèque, d'une façon ou d'une autre, le bonheur et l'avenir de l'humanité. Les cartes, qui jouent traditionnellement le jeu du pouvoir, se font outils de la contestation et instruments d'émancipation politique et sociale quand la société civile se les approprie. Politique, art et science entrent alors en dialogue permanent pour proposer une image non convenue et libre du monde.
Prix Georges Erhard de la Société de géographie, 2022
2021-10-21 - Xavier De La Porte - L'Obs
Pour les experts et les géographes professionnels ou passionnés, un ouvrage très spécial d'explorations cartographiques. Le spectacle du monde qu'est la cartographie est abordé ici via la propagande, les dessous politiques des cartes, l'épistémologie...
2021-11-07 - La Provence
La cartographie comme une arme de combat, destinée à figurer ce que les cartes traditionnelles passaient sous silence. Cette histoire de la " géographie radicale ", aussi instructive qu'illustrée, explique comment des géographes ont pris conscience de la force de frappe des cartes pour dire le monde, les discriminations, les délits, les transformations de l'espace.
2021-11-24 - Télérama
Tous les amoureux des cartes ne pourront que s'enthousiasmer et prendre plaisir à plonger dans ces " explorations " proposées par cette " cartographie radicale ". [...] Où la carte peut mettre au jour diverses réalités, sociologiques ou géographiques, et s'avère être un " outil politique ", " au service de la résistance et de la contestation ". Un vrai " beau livre ".
2021-12-09 - O. D. - Politis
L'ouvrage de l'historienne Nepthys Zwer et du géographe Philippe Rekacewicz se veut d'abord une exploration de la création cartographique. Comment fonctionne cet outil des géographes mais aussi formidable " machine à rêves ", qui transpose notre regard sur le monde en formes dessinées, aide les bateaux à naviguer, les avions à voler. Mais dans la cartographie conventionnelle " qui revendique un statut de science exacte ", est apparu un courant " dissident ". La cartographie radicale revendique, elle, une nature subjective ; elle veut produire des cartes qui montrent les situations d'inégalités, les accaparements de terre, la destruction des milieux par l'agro-industrie, etc. Le livre analyse l'émergence de cette cartographie indisciplinée, et propose un tour d'horizon évidemment abondamment illustré, de ses manifestations.
2021-12-11 - Frédérique Roussel - Libération
" L'historienne Nepthys Zwer et le géographe Philippe Rekacewicz nous offrent de passionnantes Explorations dans un superbe livre, récemment publié aux éditions Dominique Carré/La Découverte "
2021-12-14 - Christine Marcandier - Diacritik
Prologue
1. Quel monde !
Dess(e)ins
Le spectacle du monde
Trois concepts
Distorsions
2. La face du monde
Un monde systémique
Circulations
Cartographier la complexité
3. La carte comme volonté
Le geste cartographique
La plume et le pouvoir
Transformer l'espace
Les cartes " si "
4. Sous la carte
La liberté des cartographes
Science, com' ou propagande ?
5. La fabrique du monde
La réalité par les cartes
Où sont les femmes ?
6. L'autre regard
Pourquoi faire autrement ?
Contre-cartographier
Une affaire de
polis
7. Géométries. Le laboratoire
Une science des formes
Élaborations
8. De l'art
Le musée aime les cartes radicales
L'objet du débat
L'art de la carte
Épilogue
Annexes.
Prix Georges Erhard de la Société de géographie, 2022