L'idéologie libérale règne désormais sans partage. Elle triomphe au nom d'une liberté dont les apôtres du système ont inversé le sens, depuis que sont tombées, avec la chute du mur de Berlin, les illusions des doctrines " libératrices ". Pourtant, partout dans le monde, l'espoir d'une émancipation enfouie sous les discours idéologiques se réveille aujourd'hui. Comment interpréter ce paradoxe ? De quels possibles cet espoir est-il porteur ? Répondre à ces questions implique de revenir sur l'histoire longue afin de comprendre comment le sens actif du mot " liberté " s'est trouvé effacé par les idéologues.
C'est ce qu'entreprend Michèle Riot-Sarcey dans ce livre. Poursuivant l'enquête du Procès de la liberté (2016), où elle avait montré le bâillonnement du principe espérance au XIXe siècle, elle démonte l'ensemble des dispositifs d'entrave au pouvoir d'agir des individus au XXe siècle. De l'affaire Dreyfus à Mai 68, du mouvement ouvrier américain à la constitution des Internationales et la confiscation des expériences ouvrières par les avant-gardes, de l'insurrection espagnole en 1936 à la mise en ordre de la pensée structurale, de la catastrophe d'Hiroshima aux luttes anticoloniales, l'historienne analyse les processus par lesquels le sujet libre, à chaque moment décisif, s'est trouvé effacé au profit de visions totalisantes.
Mais l'idée authentique régulièrement se ranime et fait retour dans les lieux les plus inattendus. En analysant le fonctionnement d'une élaboration théorique figée, ce livre donnera des arguments aux lecteurs décidés à faire usage d'une liberté critique menacée. Il contribuera ainsi à rendre le réel de l'utopie plus vivant que jamais.
Michèle Riot-Sarcey, professeure émérite d'histoire contemporaine et d'histoire du genre à l'université Paris-VIII-Saint-Denis, est historienne du politique et du féminisme. Elle est notamment l'auteure de La Démocratie à l'épreuve des femmes. Trois figures critiques du pouvoir, 1830-1848 (Désirée Véret, Jeanne Deroin, Eugénie Ni-boyet) (Albin Michel, 1994), Le Réel de l'utopie (Albin Michel, 1998) et à La Découverte, de Histoire du féminisme (La Découverte, 2002, 2015), 1848, la révolution oubliée (avec Maurizio Gribaudi, La Découverte, 2008, 2009), et Le Procès de la liberté. Une histoire souterraine du XIXe siècle en France (2016).
2023-03-01 - Jean-Marie Durand - Philosophie Magazine
En 2016, dans Le procès de la liberté (La Découverte), l'historienne brossait à partir d'archives, de documents, d'extraits littéraires, un tableau des expériences ouvrières et des révolutions sociales au XIXe siècle sous l'angle de la revendication de la liberté. L'émancipation entravée poursuit ce travail en déplaçant le regard et l'analyse des idéologies dites " libératrices " sur le XXe siècle et l'histoire contemporaine, jusqu'aux " gilets jaunes " et au Hirak algérien.
2023-03-02 - Marie Fouquet - Livres Hebdo
Dans un livre sur l'émancipation, l'historienne, montre comment, au XXe siècle, des expériences d'autonomie ont été étouffées par des idéologies et des institutions coupées de la base.
2023-03-09 - Julie Clarini - L'Obs
Michèle Riot-Sarcey poursuit dans l'Emancipation entravée. L'idéal au risque des idéologies du XXe siècle sa quête d'une liberté réelle. Celle-ci, qu'elle définit par la capacité d'agir et de décider pour soi-même et collectivement, a été selon elle jusqu'aujourd'hui en permanence recouverte, récupérée et empêchée par des systèmes politiques et théoriques coupés des expériences concrètes et des acteurs des mouvements sociaux. Mais l'aspiration à l'émancipation ne demande pourtant qu'à ressurgir, à la faveur des crises.
2023-04-08 - Clémence Mary - Libération
Michèle Riot-Sarcey travaille depuis longtemps sur les marges de l'histoire : du féminisme au genre, de l'utopie aux révolutions.
2023-04-14 - Nicolas Mathey - L'Humanité
Introduction
Les empêchements du pouvoir d'agir
La marche triomphante des idéologies
Du pouvoir de l'idéologie structuraliste
Quand renaît le passé de l'émancipation
Première partie
Les voies souterraines de l'émancipation : Le long XIXe siècle
1. Le progrès en question
L'idéologie du progrès aux origines de la catastrophe
L'utopie du progrès, retour aux textes fondateurs
Les traces historiques de l'utopie du premier XIXe siècle
Le temps des possibles
De l'émancipation : l'héritage des Lumières
Quand les femmes retrouvent le goût de l'intelligence
2. De l'utopie à l'idéologie
Les autorités contre les doctrines utopiques
Quand le souvenir de l'utopie émancipatrice se perd
La liberté confisquée et le rejet de l'Autre
La démocratie réelle dévoyée par la république libérale
Le poids délétère des idéologies
3. De l'idéologie républicaine à l'idéologie marxiste
L'idéologie républicaine à l'épreuve de l'affaire Dreyfus
L'affaire Dreyfus, ou les impensés d'une République
Le rôle singulier d'Émile Zola
Quand l'antisémitisme de gauche républicaine perdure
Nationalisme et patriotisme, constitutifs de la République
4. La race au cœur de l'idéologie républicaine étatsunienne
La ségrégation raciale, condition de l'union nationale
Le monde du travail contre le " Dieu dollar "
5. La IIe Internationale : la prépondérance de ceux qui savent
Une idéologie élaborée à distance des acteurs sociaux
L'éviction des anarchistes et le choix de la voie électorale
Face aux menaces de guerre, l'aveuglement des " internationalistes "
Le patriotisme l'emporte
Deuxième partie
L'irrésistible ascension des idéologies (1919‑1939)
6. Entre guerres et révolution, les années terribles
Des massacres de masse à l'éphémère mouvement des soviets
L'art nouveau ou le renouveau de l'utopie
Le temps suspendu du soulèvement spartakiste
Gouverner les masses, cette " multitude indistincte "
Les professionnels de la révolution prennent le pas
La revendication ambiguë de l'héritage de 1789
7. La construction mythologique de l'idéologie soviétique
Georges Sorel, précurseur du retour aux mythes
L'étonnant fonctionnement du mythe bolchevique
Le taylorisme au service du bolchevisme
L'art de représenter le communisme, ou la création imaginaire d'un autre monde possible
L'impossible retour de la mémoire critique
8. L'idéologie soviétique, un rempart manifeste contre le fascisme
La crise de 1929 et l'effondrement apparent du monde libéral
L'idéologie fasciste, une " immense mystification politique "
La peur des classes ouvrières et le tournant de 1934 en France
Juin 1935 : le singulier congrès international des écrivains à Paris
9. L'émancipation en incise : fronts populaires, des populations sous contrôle
Juin 1936 en France : une étape dans la " marche triomphale " des partis
Le basculement géopolitique de 1937
Derrière le Frente popular, le communisme libertaire espagnol
L'effacement des expériences ouvrières autonomes
10. Quelle émancipation coloniale ?
L'anticolonialisme à l'épreuve du communisme du Komintern
L'universel en question dès les années 1920
11. 1938‑1939, la catastrophe annoncée
1938,
La Nausée
L'ontologie d'Heidegger et son impensé nazi
Ne rien voir, ne pas savoir : l'impossible vérité
Troisième partie
L'après-guerre et le triomphe des idéologies
12. Le progrès pour tous ou l'idéologie marchande
Du primat de la technique au " totalitarisme technocratique "
La consolidation des idéologies de collaboration de classes
Et pourtant, des résistances
L'éveil du monde colonisé et dominé
13. L'idée de structure, une ligne de fuite
Face au trouble de la pensée, la " mission historique " du parti
L'ombre d'Heidegger : " L'être humain ne fait pas l'histoire "
Les enjeux de la pensée structurale : la fin du hasard historique
L'histoire en question : de Marc Bloch à Gaston Roupnel
Une dissonance : Simone de Beauvoir
14. Le structuralisme comme science
Le structuralisme comme modèle
La linguistique comme référence
L'extension du modèle, de Fernand Braudel à Roland Barthes
Lévi-Strauss et Lacan : l'idée de structure en psychanalyse
15. Le structuralisme comme idéologie
Le retour aux mythes des structuralistes
Le mythe au service d'un déterminisme social
La critique d'Henri Lefebvre
L'idéologie althussérienne ou le structuralisme philosophico-politique
L'usage des concepts pour une dialectique renouvelée
Dissonance de Walter Benjamin
Quatrième partie
Les années 1960 ou le réveil de l'émancipation
16. La libération comme horizon des pays colonisés
Le temps infini de la décolonisation
Guerre d'Indochine et massacres coloniaux : la France entend préserver son empire
De l'Algérie au Cameroun, les crimes d'État au service de l'idéologie coloniale
La liberté reconquise, ou l'impossible émancipation (1960‑1962)
Pour déjouer l'oubli :
Les Belles Lettres de Charlotte Delbo (1961)
Le massacre du 17 octobre 1961 à Paris et son occultation, symptômes de l'idéologie coloniale
17. Le retour de la mémoire chez les " peuples libres "
L'émancipation en question dans les sociétés colonisées
Partout, l'effacement des expériences émancipatrices par l'histoire officielle
Le populisme révolutionnaire et l'idéologie nationaliste : le cas algérien
La lutte pour le pouvoir, prolongement de l'idéologie coloniale
Au Vietnam, la violence révolutionnaire au service d'une idéologie totalitaire
18. 1968, une brèche dans l'idéologie libérale
1966‑1968 : les échos de la Tricontinentale
À l'Est, la critique ouverte du " socialisme réel "
1968 : les révoltes de la jeunesse et l'ouverture des possibles
Années 1960 : les luttes " contre tout " des ouvriers italiens
19. Les singularités du " moment 68 " en France
L'engagement politique à l'origine du mouvement
La lutte des Lip, la force du collectif comme exemple
La renaissance du féminisme politique des " années 68 "
L'aveuglement des idéologues des années 1970
Conclusion. Vers une démocratie réelle ?
Epilogue 1. Ambiance Bois, une expérience limousine pour " travailler autrement "
Collectif de travail, collectif de vie
Des réseaux qui permettent l'essaimage
Epilogue 2. Les Gilets jaunes de Commercy et le parfum de la " démocratie réelle "
Les débats au " chalet de la solidarité "
Les enseignements de la lutte
Du quotidien de la lutte à la lutte du quotidien, la démocratie réelle
Notes
Index.