En quoi les zoonoses, ces maladie infectieuses animales transmissibles à l'être humain, comme la rage, la tuberculose, la grippe aviaire ou la Covid-19, modifient-elles nos conceptions de la politique, du pouvoir, de l'émancipation ? Sans la récente pandémie de Sars-Cov-2, cette question n'aurait peut-être pas acquis l'acuité et l'urgence qui la caractérisent aujourd'hui. D'après de nombreux rapports scientifiques, le nombre et l'ampleur de ces zoonoses sont appelés à augmenter, leur place étant directement liée aux dérèglements climatiques et à la baisse rapide de la biodiversité.
Il est fréquent, dans la mouvance écologiste, d'interpréter la prolifération des virus comme la revanche de la nature contre le mauvais traitement que les humains lui feraient subir. Une veine complotiste croit y voir une lutte entre puissances autour des armes biologiques. En s'intéressant aux pratiques contemporaines de préparation aux pandémies, ce livre emprunte une tout autre voie. Car, depuis vingt ans, la " chasse aux virus ", inventée il y a un siècle, a cédé la place à une autre approche, où l'animal occupe un rôle éminent d'émetteur potentiel de signaux d'alerte, dont les traces sont conservées dans des congélateurs et des bases de données.
À travers la figure de la sentinelle animale, une autre relation entre humains et non-humains se dessine où la solidarité existe déjà tout en restant un idéal à réaliser. Un nouveau solidarisme, voire un nouveau socialisme, pourrait en découler.
2024-09-30 - Les Temps qui restent
L'anthropologue Frédérick Keck analyse les ressorts politiques des maladies infectieuses animales transmises à l'être humain Les relations entre les humains et le monde animal ont-elles changé avec la pandémie provoquée par le SARS-CoV-2? Notre conception philosophique monde, celui que nous partageons avec d'autres espèces, a-t-elle été bouleversée? Notre vision du pouvoir politique, de ses missions et des stratégies de protection qu'il peut mobiliser contre les menaces, a-t-elle évolué? En replaçant ces questions dans l'histoire des idées, l'anthropologue et historien de la philosophie Frédéric Keck mesure dans son ouvrage combien la crainte provoquée par les zoonoses, ces maladies infectieuses animales transmises aux humains (et réciproquement), bouscule les schémas de pensée. Le terme de zoonose, forgé en 1895, est ici confronté à la notion de "biopouvoir", développée par Michel Foucault dans les années 1970.
2024-10-02 - Jean-Baptiste Jacquin - Le Monde
Ouverture. La Covid-19 exposée comme pandémie et comme zoonose
Objets
Animaux
Introduction. Penser la biopolitique à l'état sauvage
1. Biopouvoir : discipliner les individus, réguler les populations
Hygiène publique et santé mentale
Biotechnologies, biosécurité et biolégitimité
2. Pouvoir pastoral : surveiller les humains comme des brebis
Un pouvoir bienveillant et sacrificiel
Médecine vétérinaire et savoirs des éleveurs
3. Pouvoir cynégétique : prendre les points de vue des proies
Esclavage colonial et sociétés de chasseurs
Chasseurs de virus et réservoirs de maladies
4. Cryopolitique : conserver des collections dans des réserves naturelles
Les mutations du virus de la grippe
La chaîne du froid dans les marchés et les laboratoires
Le stockage des vivants dans les réserves et les musées
5. Santé planétaire : anticiper l'avenir avec les animaux
Responsabilité collective : des pandémies au réchauffement climatique
Participation : l'idéal de justice à travers les guerres
6. Sentinelles : construire une nouvelle forme de solidarité
Les frontières du système immunitaire
La mémoire des signes du passé pour préparer aux catastrophes futures
Conclusion. Pathologies de l'environnement, question animale et critique du capitalisme
Remerciements.