Depuis les années 1980, le capitalisme connaît une profonde mutation, attribuée en général à la montée en puissance de la finance, devenue force planétaire, et aux nouvelles technologies, qui ont fait entrer les économies industrielles dans la " société de la connaissance ". Pour beaucoup, ce nouveau capitalisme devait profiter à tous ; une vision optimiste brutalement démentie par la crise de 2007-2008. Car les nouvelles technologies favorisent la circulation des idées et de l'information, mais de manière très inégale selon les pays, contribuant à creuser les écarts. Quant à la finance moderne, si elle facilite le développement d'innovations telles qu'Internet, elle est aussi à l'origine de l'instabilité de nos économies.
Dans cet essai, El Mouhoub Mouhoud et Dominique Plihon montrent ainsi ce que les crises doivent à la contradiction majeure entre le court-termisme des financiers et l'horizon long de l'accumulation des connaissances. Et ils proposent une vision originale du capitalisme mondialisé : loin d'un " monde plat " mettant en relation les territoires et les travailleurs grâce aux nouvelles technologies de l'information, ce dernier se caractérise toujours plus par l'accaparement des connaissances et des ressources au profit d'une minorité de pays et d'acteurs ? notamment lié aux dérives des droits de propriété intellectuelle. D'où un appauvrissement paradoxal des connaissances et de leur diffusion. Les auteurs explorent alors les conditions d'une alternative pour l'après-crise.
Dominique Plihon est professeur émérite à l'université de Sorbonne Paris Nord - Villetaneuse et membre du conseil scientifique d'Attac. Dans la collection " Repères ", il a publié Le Nouveau Capitalisme (2016, 4e éd.), Les Taux de change (2017, 7e éd.) et La monnaie et ses mécanismes (2022, 8e éd.). Il a occupé des fonctions d'économiste à la Banque de France et au Conseil d'analyse économique.
El Mouhoub Mouhoud est chercheur en économie. Il a fondé avec Pierre Dardot et Christian Laval le groupe d'études et de recherche Question Marx qui entend contribuer au renouvellement de la pensée critique en interrogeant l'héritage de Marx.
" Dans les économies "modernes ", le capital productif comme les biens et services produits ont de plus en plus un contenu cognitif ainsi qu'un caractère intangible. Or ces biens présentent des spécificités, en terme de coûts, de comptabilisation, d'appropriation, de risque, qui en font des marchandises assez difficiles à faire rentrer dans le rang. Les auteurs soutiennent que le capitalisme financier, à travers ses institutions comme la Bourse, l'entreprise actionnariale, les nouvelles formes comptables, etc., s'est en partie développé pour domestiquer ces actifs. Mais, simultanément, la finance étouffe la production de connaissances, du fait de ses exigences de rendement à court terme et de ses pratiques déstabilisantes pour les entreprises: elle soutient l'économie du savoir un peu comme la corde soutient le pendu. Pour mettre en ordre les relations entre la finance, le savoir et la reconfiguration de la division internationale du travail, l'ouvrage formule des propositions de "réformes" précises et argumentées. "
LE MONDE DIPLOMATIQUE
2024-12-04 - PRESSE
Introduction. Un capitalisme inégalitaire et instable
Des formes complexes de division du travail
La finance au cœur de l'économie du savoir
Dépasser le simplisme de certaines analyses
1. Le monde n'est pas plat
Dynamique du capitalisme et de la mondialisation
L'économie de la connaissance au cœur du capitalisme moderne
Les erreurs d'interprétation des représentations dominantes
L'économie de la connaissance, source d'inégalités
2. Une globalisation financière au service des pays riches
La croissance vertigineuse de la finance mondiale
Une finance mondiale profondément inégalitaire
Les analyses incomplètes des théoriciens de la finance
3. Un capitalisme fondé sur les interactions entre connaissance et finance
Économie de la connaissance : les confusions à éviter
Le rôle clé du marché et de la finance dans l'économie de la connaissance
La connaissance, un bien économique particulier
Un capitalisme hybride fondé sur les logiques taylorienne et cognitive
La finance au cœur de l'économie du savoir
4. Géographie du postfordisme : polarisation et sélection des périphéries
Une production décentralisée et déterritorialisée ?
Loin de se disperser, les activités se polarisent dans l'espace
La coordination est plus complexe dans le modèle cognitif d'organisation de la production
L'exemple de l'industrie automobile
Délocalisations et relocalisations dans les services
Le culte des technologies de l'information et de la communication
5. L'industrie financière et bancaire, entre fragmentation et polarisation
Polarisation et concentration
Fragmentation simultanée des activités
L'organisation des banques : une double logique, cognitive et taylorienne
6. La finance au service de l'économie du savoir
L'économie du savoir et de l'immatériel pose des problèmes spécifiques
Les institutions du capitalisme financier, une réponse aux besoins de l'économie du savoir
7. Les entreprises fragilisées
Le " manager " l'emporte sur l'entrepreneur
Finance et savoir : des temporalités différentes
8. Finance et nouvelles formes d'organisation des entreprises
La finance, facteur d'hybridation des logiques productives
Une gestion duale des ressources humaines
9. Les droits de la propriété intellectuelle au service de la connaissance ?
Des institutions clés de l'économie de la connaissance
Les droits de propriété intellectuelle favorisent-ils l'innovation ?
Les risques liés à la privatisation des savoirs
10. Migrations internationales : à qui profite la fuite des cerveaux ?
Les nouvelles migrations dans l'économie du savoir
Sélection des migrants, fuite des cerveaux et appauvrissement du Sud
11. Comment mettre la finance au service du savoir
Créer un environnement économique et financier favorable à l'accumulation du savoir
Canaliser des financements stables et ciblés vers l'innovation et la connaissance
Le rôle incontournable de l'État stratège et investisseur
12. Désenclaver la connaissance, au Nord comme au Sud
Lutter contre l'" enclosure " du savoir dans les pays du Nord
Insérer les pays du Sud dans une mondialisation plus équitable
Partager les bénéfices de la fuite des cerveaux
Conclusion. Deux " scenarii " pour l'après-crise
Scénario 1 : le savoir continue d'être l'otage de la finance
Scénario 2 : le savoir s'émancipe de la domination de la finance.