La révélation de l'accès aux communications des internautes par l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA), en juin 2013, est venue rappeler l'ampleur du fichage et du traçage numériques. Le monde d'hypersurveillance dans lequel nous vivons n'a plus rien à voir avec le Big Brother totalitaire d'Orwell. Loin d'un modèle disciplinaire, les contrôles, exercés par une diversité d'acteurs publics et privés, y sont invisibles et mobiles, de plus en plus tributaires de la participation involontaire des individus et souvent à des fins d'anticipation de leurs comportements.
Ce livre vise à cerner l'origine, les contours et la dynamique de cette surveillance postorwellienne. À partir de la rupture fondamentale introduite au XIXe siècle par le libéralisme et les droits de l'homme, il retrace l'évolution fluctuante du couple libertés/contrôles. Au gré des crises économiques, sociales et morales, les progrès politiques et civiques ont été accompagnés par de nouveaux agencements des outils d'observation et de profilage, qui, après avoir visé des catégories particulières (vagabonds, ouvriers, migrants), ont bientôt concerné l'ensemble de la population. À cet égard, l'informatique, malgré la volonté proclamée des États d'en limiter les usages liberticides, opère une véritable révolution du contrôle. Cette mutation, qui se poursuit aujourd'hui avec l'appropriation des technologies numériques par des monopoles privés à l'échelle mondiale, va à contresens du projet de libération annoncé voilà plus de deux siècles.
Expulsé du Chili, après y avoir séjourné onze ans, lors du coup d'État du 11 septembre 1973, Armand Mattelart intègre alors l'université française. Il est aujourd'hui professeur émérite de sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-VIII. Il a notamment publié, aux éditions La Découverte L'Invention de la communication (1994 ; Poche, 2011), Histoire de l'utopie planétaire (1999 ; Poche 2009) et La Globalisation de la surveillance. Aux origines de l'ordre sécuritaire (2007 ; Poche, 2008).
2014-01-22 - Gilles Sainati - Mediapart
Le scandale suscité par les révélations des écoutes de la NSA avec la complicité des principaux acteurs de l'économie numérique a montré combien la collecte des données personnelles constituait un enjeu sensible. Pour autant, celui-ci est à la fois plus ancien et surtout plus ample que les débats médiatiques actuels le laissent penser. Ce sont ces lacunes que les deux auteurs s'efforcent ici de combler. Ils mettent en évidence la double face de ce profilage toujours plus perfectionné, pouvant être exploité à des fins policières ou commerciales, mais aussi indispensable à la mise sur pied d'un système de protection sociale. Internet n'est ainsi que le dernier stade d'une histoire déjà longue, conférant désormais un rôle prééminent à certaines firmes en situation de quasi-monopole à côté des pouvoirs publics. Les informations que nous leur fournissons souvent à notre insu représentent ainsi une véritable manne - ce n'est pas par hasard que nous parlons de banques de données ! -, en même temps qu'elles remettent en cause la notion même de vie privée. Un véritable débat démocratique apparaît ainsi nécessaire pour en faire un outil au service de la collectivité plutôt que de son contrôle.
2014-02-01 - Igor Martinache - Alternatives économiques
À la faveur des révélations faites par Edward Snowden, en juin 2013, au sujet des programmes de surveillance des internautes par l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA), l'image du Big Brother totalitaire d'Orwell s'est imposée comme une évidence dans de nombreux médias. Mais cette référence est-elle vraiment appropriée ? Armand Mattelart et André Vitalis, les auteurs du présent essai, tous deux spécialistes des enjeux liés au numérique, pensent au contraire qu'elle conduit à édulcorer les spécificités de " l'hypersurveillance " contemporaine. Selon eux, une première différence avec le modèle disciplinaire classique tient à l'invisibilité des dispositifs de contrôle. " La visibilité disciplinaire induit une relation qui s'établit sur un commandement de comportement, alors que l'invisibilité des technologies laisse apparemment libre un individu surveillé en permanence ", font-ils remarquer. Une seconde différence renvoie au développement d'automatismes à partir des masses de données stockées numériquement. " La puissance des automatismes, notamment celle des algorithmes de traitement des données, va permettre de suivre continûment les individus et d'anticiper leurs comportements ", est-il souligné.Sur la base de ce constat, Armand Mattelart et André Vitalis mettent alors en évidence un brouillage croissant entre production et consommation. De fait, le consommateur d'aujourd'hui, dont les données numériques sont utilisées par les professionnels du marketing, tend à devenir un " coproducteur, la valeur ajoutée du produit ou du service se trouvant chaque fois davantage dans son adéquation plus fine à la demande ". L'économie numérique appréhende ainsi essentiellement l'individu comme " une fabrique de données " et la captation de ses " données personnelles " est une part décisive de l'activité des géants de l'Internet (Google, Facebook, Apple, etc.). C'est sans doute l'un des mérites principaux de l'ouvrage que d'étudier l'évolution des modes de surveillance en lien avec celle du mode de production capitaliste.
2014-02-04 - Laurent Etre - L'Humanité
En un temps où les révélations d'écoute et de surveillance surgissent quasi quotidiennement, le livre d'Armand Mattelart et André Vitalis tombe à pic. Très récemment, c'est même le jeu Angry birds qui a été pointé du doigt, car possiblement infiltré par la CIA. En resituant son sujet dans un temps qui dépasse la simple actualité, il propose donc de réfléchir au profilage des populations.
2014-02-12 - Jean-Pierre Costille - Clionautes
En articulant histoire des techniques et histoires des idées, les auteurs remontent aux origines du fichage. Bien avant les agissements de la NSA, l'Agence nationale de sécurité américaine, et le cybertraçage actuel des géants du web, c'est le monde du travail qui a inauguré ces pratiques en 1781, avec les livrets d'identification d'ouvrier en France. La suite ? Une évolution parfois effarante des procédés, de la fiche de police cartonnée (invention française !) aux cookies; tissant peu à peu, contrairement au Big Brother d'Orwell, une surveillance quasi invisible.
2014-03-01 - Sciences et avenir
" Rien n'est plus utile à l'État qu'une liberté connue et une surveillance cachée. " Avec ces mots de Pierre Samuel Dupont de Nemours (prononcés en 1787), les auteurs de cet essai donnent le ton dès l'introduction. Au fil des pages, Armand Mattelart et André Vitalis suivent l'évolution du profilage, interrogeant le rapport tendu entre liberté et sécurité. Instructif et inquiétant. Aujourd'hui, une quantité toujours croissante d'informations sur nos comportements et nos déplacements est compilée " pour en extraire des profils individuels et les segmenter ". À la surveillance de certaines catégories de la population s'est progressivement substituée une surveillance de l'ensemble des citoyens. Avec le constat que cette forme de contrôle qui, " du livret ouvrier aux registres de police et aux fichiers manuels, jusqu'à l'apparition de l'informatique puis de l'Internet ", n'a cessé de se perfectionner et de s'étendre. Le nombre de fichiers dans lesquels l'individu figure dans les pays occidentaux, indiquent les auteurs, est estimé à près de 500. Autre chiffre alarmant : 578, soit le nombre approximatif d'informations récupérées par visiteur et par mois par Google selon l'institut Comscore. " La création d'un fichier contenant les caractéristiques de tous les habitants du monde ne poserait pas de problème technique majeur ", affirment ici les auteurs, indiquant au passage que l'Inde s'apprête aujourd'hui à créer " la plus grande banque de données biométriques du monde relative au 1,2 milliard de ses citoyens, avec pour chacun d'eux le recueil de l'empreinte du pouce, le scanner oculaire et une identification à douze chiffres ". Une question se pose alors inévitablement : jusqu'où ce profilage peut-il aller ? " L'image de la société qu'(il) projette cadre mal avec le projet d'émancipation imaginé par (les hommes) à la fin du XVIIIe siècle ", notent A. Mattelart et A. Vitalis. Que sommes-nous prêts à accepter ?
2014-04-01 - Marie Dechamps - Sciences humaines
Introduction. Les libertés au prix du contrôle
1. " Aller et venir " : une liberté paradoxale
L'instauration du libre-échange
La mobilité à l'épreuve de la sécurité
Le spectre du vagabondage
La fiche de police
Le signalement
L'immatriculation universelle ?
Le carnet anthropométrique des nomades
La raison probabilitaire
2. La gestion du temps et de la force de travail
La vitesse d'accélération
La " machine animale " : l'invention de la cinématique
Les horloges de présence
Le
watch-box ou le livre-montre
La caméra non cachée
Vers la taylorisation de la consommation
3. La double figure de l'État : providentielle et sécuritaire
La controverse théorique sur le libéralisme
Un État arbitre du rapport conflictuel capital-travail
Entre protection et fichage : l'individu segmenté
La ressource informationnelle, source d'une idéologie inavouée
Entre
Welfare et
Warfare : quel statut pour la science ?
La sécurité nationale ou la définition militaire de la réalité
Le projet de couverture totale de l'espace
Vers l'hybridation des technologies intrusives
La " guerre néocorticale " : réinventer la guerre ?
Les sciences sociales à la rescousse
4. L'informatique au secours d'un déficit de gouvernabilité
La crise des formes de contrôle
La mise en cause du compromis keynésien
La première loi sécuritaire
Le coup d'État informatique
La prise de conscience des menaces du double informatique de l'individu
Informatisation sauvage des fichiers et dérives liberticides
La réglementation des fichiers de personnes
5. Anticipation et gestion politique du risque de violence
De
Big Brother aux
Little sisters
L'allégement de la protection
La fièvre sécuritaire
Multiplication des fichiers et des bases de données policiers
Détection des individus à surveiller en priorité
L'architecture des nouveaux dispositifs de contrôle
Le retour des interconnexions
Évaluer la dangerosité potentielle
6. La captation et l'exploitation marchande des identités
Un contrôle peut en cacher un autre
Automatisation de la collecte des informations
Informations personnelles contre services gratuits
Les promesses d'un cyberespace participatif
Facebook, un dévoilement de soi coté en bourse
Des monopoles fondés sur l'exploitation des données personnelles
Contre le " féodalisme virtuel "
7. La condition post-orwellienne : cybercontrôles invisibles et mobiles
De la relation de discipline aux technologies de contrôle
Les conditions d'une " autodétermination informationnelle "
Le temps accéléré d'un contrôle automatisé
Les bénéfices incertains d'une sousveillance
Liste des principaux sigles utilisés
Index.