La politique d'immigration de Nicolas Sarkozy est souvent accusée de démagogie. À tort. Car loin d'exploiter la xénophobie populaire, le chef de l'État et ses ministres n'hésitent pas à braver l'opinion. Faisant fi des enquêtes qui montrent que les Français se préoccupent bien davantage de l'emploi, du pouvoir d'achat ou des inégalités, ils s'obstinent à soutenir que l'immigration est leur problème principal.
Pourquoi cette xénophobie d'en haut ? Les études sérieuses révèlent pourtant qu'aucune rationalité économique ou démographique ne la justifie. Quant aux bénéfices politiques qu'elle permet d'engranger, l'impopularité d'initiatives telles que le débat sur l'identité nationale ou le discours de Grenoble indique qu'ils ne sont pas plus significatifs que les coûts de l'immigration.
Il s'agit alors de comprendre ce qui a conduit la droite française à tant miser sur la résurgence de la " question immigrée ". À cette fin, Xénophobie d'en haut se penche sur les circonstances qui ont amené les dirigeants français à s'emparer d'une telle question, en dépit du terrible bilan de ses usages antérieurs, ainsi que sur la manière dont ils sont parvenus à le faire - au sein d'une Union européenne pourtant fondée sur la leçon de 1945 : " Plus jamais ça ! "
La dérive d'une droite éhontée soulève encore deux questions. Elle appelle à se demander pourquoi les médias les plus hostiles au populisme s'ingénient à minimiser son ampleur, au risque de la conforter, mais aussi pourquoi une gauche complexée se borne à la confondre avec de la démagogie, comme si l'hostilité aux étrangers était le lot des classes populaires. Or la pusillanimité de l'opposition est d'autant plus déplorable, concluent les auteurs de Xénophobie d'en haut, que la récusation du " problème de l'immigration " est la condition de possibilité d'une véritable alternance.
L'équipe de " Cette France-là " réunit des chercheurs engagés qui ont décidé d'autopsier la politique d'immigration afin d'en montrer la dimension de profonde inhumanité jusqu'à son application concrète sur le terrain et la manière dont elle finit par imprégner toute l'identité du pays. Elle a produit en 2009 et en 2010 deux épais volumes, tel un " inventaire raisonné ", publiés par les éditions La Découverte. Celles-ci proposent aujourd'hui deux nouveaux volumes s'attachant à la base et au sommet de la politique du gouvernement. Sans-papiers & préfets s'intéresse aux pratiques d'une administration mobilisée sur l'objectif des arrestations et des reconduites à la frontière. Cette " culture du résultat " est brossée en portraits tant d'expulsés que d'artisans des expulsions. Il s'agit à chaque fois d'enquêtes précises qui soulignent comment la politique du chiffre méconnaît souvent la légalité et oblige ceux qui sont chargés d'appliquer le droit à l'oublier souvent. L'ouvrage s'intéresse aux manifestations de zèle à tout niveau. Elles dénotent un glissement vers une indifférence coupable aux dimensions tragiques des situations et le renoncement à l'esprit du droit protecteur. Beaucoup des informations recueillies dans le livre proviennent des associations qui, sur le terrain, Cimade, Réseau éducation sans frontières, agissent comme les derniers remparts des contre-pouvoirs nécessaires en démocratie. Quant à Xénophobie d'en haut. Le choix d'une droite éhontée, il fait le bilan à charge d'un quinquennat dominé par une approche répressive de l'immigration. Si la démonstration est souvent réussie, toute la question demeure de savoir comment parler à l'ensemble des Français de cette politique restée souvent invisible. Du moins ces deux nouvelles études de " Cette France-là " contribuent à la rendre visible.
2012-04-05 - Vincent Duclert - La Recherche
Martelée par Nicolas Sarkosy, la thèse selon laquelle il y aurait en France " un problème de l'immigration " a fini par s'inscrire dans les esprits. La France, nous dit-on , ferait face à un afflux massif d'étrangers venant nourrir la xénophobie des couches populaires. Celles-ci s'y montreraient d'autant plus sujettes qu'elles souffrent par ailleurs de la mondialisation. Dès lors, le devoir du gouvernement serait de combattre ce racisme latent ... en renvoyant chez eux le maximum de sans papiers. L'ennui est qu'aucun des présupposés de ce discours n'est vrai, comme le montrent trois essais publiés conjointement aux éditions de la Découverte ; on y trouve d'utiles rappels : 1) Les étrangers représentent 8,4% de la population en France , contre 13,7 % aux Etats-Unis, 12,5% en Allemagne , 10,9 % au Royaume Uni ; 2) L'immigration clandestine y est évaluée entre 0,3% et 0,6% contre une moyenne de 0,6% à 1,3% pour l'Union Européenne ; 3) Tous les économistes s'accordent sur le fait que l'immigration est au mieux rentable pour son pays d'accueil, au pire, neutre ; 4) Dans les enquêtes sur les préoccupations des français, l'immigration apparait tout au bas du classement, derrière l'emploi, le pouvoir d'achat, la santé.. Bref, loin que les français soient devenus racistes, le phénomène marquant du quinquennat est l'apparition d'une xénophobie d'en haut " ; à cet égard, il faut lire dans Sans papiers et préfets, parmi tous les propos tenus par les hauts fonctionnaires chargés de mettre en œuvre cette politique d'Etat, celui du Préfet Gérard Moisselin : " pour ce qui concerne les sans papiers, j'applique les directives du gouvernement ; si je le faisais avec humanité, cela voudrait dire que je ne les applique pas "
2012-05-03 - Eric Aeschimann - Le Nouvel Observateur
I / Le " problème de l'immigration " : une obstination énigmatique
L'inverse de la démagogie
L'explication par les coûts de l'immigration
L'explication par les bénéfices de la xénophobie
Questions subsidiaires
II / Éléments de langage : trois rhétoriques pour un même acharnement
Choisir ses invités
Préserver la générosité française
Retrouver le sentiment d'être chez soi
III / 1989-2012 : l'accréditation d'une phobie
Cette fois, c'est différent
L'intégration européenne à l'épreuve de la mondialisation
Le temps du crédit
Méritants et profiteurs
Les causes du terrorisme
Une Europe qui protège
La fuite en avant
IV / 1945-2012 : plus jamais quoi ?
Plus jamais l'occupation
Le prisme antitotalitaire
La critique de l'antiracisme
La xénophobie irréprochable
Plus jamais l'occupation (bis) ?
V / Les médias et l'empire du juste milieu
De l'impartialité journalistique
D'un scepticisme l'autre
Le prix du confort
VI / La gauche complexée : du réalisme au populisme
Que demande le peuple ?
La faute aux " bobos "
Du caviar aux légumes bio
Le " nouveau réalisme "
Un nouveau populisme
Quelle France invisible ?
Conclusion. Xénophobie d'en bas, xénophobie d'en haut
Chronologie. 2007-2012