Pendant des millénaires, il fut attendu des victimes confrontées à des circonstances extrêmes que leurs conduites se conforment à des codes d'honneur terriblement exigeants. A-t-il trahi les siens celui qui a survécu à la torture ? A-t-elle trop facilement cédé celle qui a connu le viol ? Ces survivants suspects ont-ils sacrifié leur honneur à leur survie ? Questions traumatisantes, disent certains. Questions pourtant posées avec une surprenante récurrence pendant des siècles et des siècles, comme l'explique Jean-Michel Chaumont.
Or, depuis quelques décennies, dans les sociétés occidentales, ces codes d'honneur sont frontalement contestés, et sont même perçus comme d'intolérables blâmes adressés aux victimes. Si tout le monde s'accorde à reconnaître le progrès moral que cette critique fait advenir dans le cas du viol (la morale n'attend plus que la femme victime se justifie de son comportement), elle tend à promouvoir une éthique de la survie à n'importe quel prix dans les situations de péril extrême. Ce livre ambitieux reconstruit les critères qui ont pu départager les conduites honorables et les conduites déshonorantes, et montre, archives à l'appui, qu'il y a peu encore ces critères furent appliqués à des résistants communistes et aux victimes de la Shoah, en particulier les membres des Sonderkommandos. Il signale les évolutions considérables de nos sensibilités morales et pointe les régressions associées au risque d'un " chacun pour soi " décomplexé.
Si la trahison devenait la norme implicite, si l'éthique de la survie devait passer avant celle de l'honneur, et de la fidélité aux siens, ne serait-il pas à craindre que le jour venu, face à l'extrême, nous ne perdions nos âmes ?
Prix littéraire 2019 du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Jean-Michel Chaumont, chercheur au Fonds national de la recherche scientifique belge et professeur de sociologie historique à l'Université de Louvain, est notamment l'auteur de La Concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance (La Découverte, 1997, 2002).
2017-11-16 - Roger-Pol Droit - Le Monde
Au terme d'une enquête qui mobilise aussi bien Tite Live, Shakespeare, Montesquieu, Durkheim que Levinas, on est saisi par l'audace de l'auteur qui pose des questions dérangeantes sur le " devergondage " des individus, rappelle l'assimilation antique de la figure du gladiateur et de la prostituée [...] pour déboucher sur une critique de la domination masculine d'une extraordinaire actualité. On ne sort pas indemne d'une telle lecture.
2017-12-01 - Martin Legros - Philosophie magazine
Chaumont mène un travail formidable sur les archives et les témoignages d'abord des prisonniers communistes torturés, puis des déportés juifs et enfin de femmes victimes de viols.(...) Un ouvrage d'une incroyable complexité, à la fois analyse sociologique et traité de philosophie morale.
2017-12-02 - Raphael Bourgois - France Culture "Avis critique"
L'on ne saurait rendre compte de la richesse de cet ouvrage sans insister sur l'ampleur et la rigueur de l'enquête de sociologie morale réalisée par l'auteur. Ce dernier mobilise un vaste appareillage critique et empirique pour reconstruire les critères qui ont pu départager les conduites honorables des conduites déshonorantes. Nous nous sommes tous, à un moment donné, posé la question de notre choix entre la mort et le déshonneur, tout en ayant bien conscience que nous ne connaîtrons jamais la réponse à moins d'être confrontés à l'extrême. Sans doute révélateur d'une morale de l'humilité (la faute aurait pu être commise par soi-même) plus que de l'honneur (à l'antique), ce questionnement constitue l'un des fils rouges de cet ouvrage ambitieux et stimulant qui tente de dépasser l'indignation et de comprendre les raisons d'être du " blâme à la victime ".
2017-12-28 - Corinne Delmas - Open Edition
Y a-t-il encore des loyautés, symboliques ou pratiques, qui voudraient que l'on accorde plus de valeur à un héros mort qu'à une victime survivante ? Telle est la question que J.-M. Chaumont exhume pour notre grand inconfort.
2018-01-02 - Nicolas Journet - Sciences humaines
En lisant Survivre à tout prix ?, le dernier essai de Jean-Michel Chaumont, j'ai repensé à une rencontre qui m'avait marquée. C'était au Rwanda dans les semaines qui suivirent le génocide en 1994. L'odeur de la mort imprégnait encore toute la capitale. Les bâches bleues du HCR recouvraient les fosses communes et les rescapés donnaient l'impression de flotter dans les airs, traumatisés par cette apocalypse de violence à laquelle ils avaient survécu. J'avais rencontré alors à Kigali un prêtre hutu au courage exemplaire. Un homme au physique fluet et à la voix si douce qu'il fallait tendre l'oreille pour l'entendre. Il avait réussi à protéger dans son église les Tutsis qui avaient trouvé refuge. En dépit des risques pour sa vie et contrairement à d'autres prêtres, il n'avait pas cédé aux pressions des génocidaires lesquels voulaient s'emparer des Tutsis réfugiés dans son église afin de poursuivre leur besogne criminelle. Comme je lui demandais comment il avait eu la force de caractère de résister aux menaces de mort, sa réponse fut d'une étonnante simplicité : " J'avais simplement accepté l'idée de mourir ". Ce prêtre hutu avait répondu à la question que pose Jean-Michel Chaumont dans Survivre à tout prix ?
2018-03-07 - Pierre Hazan - Justice Info
La morale de l'honneur, qui enjoint à résister à tout prix ou choisir la mort pour sauver nos âmes, fait l'objet de cet ouvrage abondamment documenté où la sociologie historique rencontre la philosophie morale. Jean-Michel Chaumont s'attache à reconstruire les systèmes normatifs explicites ou implicites qui ont, par le passé, expliqué certaines réactions morales à l'égard des comportements des victimes placées dans des situations extrêmes : torture, camps de concentration et d'extermination, viol. Il y a quelques décennies encore, le discrédit jeté aujourd'hui sur le blâme aux victimes n'avait guère cours. Le fait d'être placé dans une situation extrême, une situation où, souvent, la seule alternative à la répudiation des engagements et des liens les plus sacrés est la mort, ne suffisait pas à disculper. En sociologue, J.-M. Chaumont montre de façon convaincante que les comportements des rescapés de la violence extrême ont été jugés, évalués par leurs contemporains, et ce à l'aune d'une éthique de l'honneur qu'il s'efforce de reconstruire.
2018-04-02 - Revue Nouvelle
Introduction générale. Les survivants suspects : peut-on juger in extremis ?
L'enjeu du jugement : sauver nos âmes
Juger des tiers
Nous préparer au pire
Changement de règne : des victimes aux survivants
L'honneur expliqué en trois citations
De la concurrence des victimes au blâme à la victime
Du blâme à la victime à la morale de l'honneur
Livre I : Survivre à la torture
Des rescapés communistes en 1945
Les relations des militants
Typologie et narration : le compromis du 23 juillet 1943
Le camp de Breendonk
1. Les incorruptibles
Ivano, Ignace, Ida...
Le code du militant illégal
L'isolement des " libérés "
L'expérience de la torture
Théorie et pratique chez les incorruptibles
Les images de la loyauté
Un régime surérogatoire
2. Pénitents et offensés
Pauline, Pablo, Pilar...
Les militants contrits
La traversée du désert
Les sanctions pendant la guerre
Les offensés
3. Les déshonorés
Didier, Damien, Darius...
Justification et repentir chez le camarade Didier
L'impossible preuve de la sincérité
Les indices de la trahison
Le règne de l'équivoque
La rançon de la ruse
Entre l'enclume et le marteau
4. Dévergondés et impudents
Sylvestre, Sacha et Sergei
Des réquisitoires comme plaidoyers
La perdition
L'évasion et l'impossible rédemption
Conclusions. Une morale primitive ?
Livre II : Survivre aux camps de concentration et d'extermination
5. Déshonneur et dévergondage de militants dans les camps de concentration
Andrée
Georges
Sur l'égoïsme de groupe
Léon, le " protecteur des mourants "
Christian et Marian
L'honneur des Juifs chez les Partisans armés
6. " Sur le comportement des Juifs sous l'oppression nazie "
Janvier 1942 : la proclamation de Vilna
Juillet 1943 : Wittenberg trahi par le ghetto
Décembre 1945 : " Le miracle dans l'abdication "
Juin 1948 : Vengeance !
Avril 1961 : Le procès d'Eichmann
7. L'affaire Treblinka
Une polémique française
Treblinka et ses Sonderkommandos
La dialectique au secours de l'honneur
La " passivité " concentrationnaire
Les dilemmes de la résistance
Les limites de la transposition
" You're just like us, no different – and we're no
different from you – all people are like that ".
8. Les Sonderkommandos : héros et martyrs ?
" Ils n'étaient pas des lâches "
" Comprenez-vous : vivre "
" Sur tes murs, Jérusalem, j'ai placé des gardes " (Ésaïe, 62)
Conclusions. Le temps des survivants
Livre III / Survivre au viol
9. Viol, mort et survie
" C'est un honneur de survivre "
Retour à l'envoyeur
De couteaux et de rage
10. Viol, mort et suicide : Lucrèce
" Tu mourras, si tu dis un mot "
Pourquoi fallait-il qu'elle meure ?
Du suicide comme mode d'administration de preuve
Le crime d'honneur
De l'ennemi à l'amant
11. La putain et le gladiateur
Entre viol et prostitution : le " steel rape "
Un suicide préventif : Madame Percy
Une survie infamante
L'infamie du gladiateur
Hunger Games et " sales putes "
12. Survivantes de viol : de la disculpation à l'émancipation
Rétroactes d'une rencontre providentielle
De la disculpation...
... à l'émancipation
Conclusion générale. Sauver son âme in extremis
Après les codes d'honneur, des protocoles sacrificiels ?
Prévenir : le postulat d'Anders
Les protocoles sacrificiels en contexte naturel :
Titanic
Des protocoles sacrificiels en contexte hostile
Quand les protocoles échouent
Annexe méthodologique
Questions de méthode : la réaction sociale comme outil de connaissance
Deux hérésies méthodologiques
Recherche et expertise
Sur le corpus des dossiers des militants du Parti communiste belge
Deux terrains en mineure
Bibliographie
Remerciements.
Prix littéraire 2019 du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles