Montée en puissance de la figure d'un nouvel " ennemi ", le terroriste, " combattant irrégulier " sans territoire, mise en place dans les démocraties de législations attentatoires aux libertés publiques, remise au goût du jour de la notion d'" état d'exception " : notre actualité semble convoquer de manière frappante les analyses du célèbre philosophe et juriste allemand Carl Schmitt (1888-1985). Mais quel sens peut-on donner aux usages politico-théoriques de la pensée d'un auteur dont on connaît bien aujourd'hui le ralliement actif au nazisme ? Dans quelle mesure, et à quel prix, Carl Schmitt nous aide-t-il vraiment à penser notre présent ?
Jean-Claude Monod s'efforce ici d'apporter des réponses à ces questions. Il montre que des philosophes marqués à gauche ont ainsi puisé, eux aussi, chez le juriste le plus controversé du XXe siècle, les instruments d'une critique du nouvel impérialisme mondial. Mais Schmitt est-il vraiment le meilleur critique des confusions de la " guerre contre le terrorisme " ? N'est-il pas au contraire l'une des sources cachées des raisonnements juridiques qui servent aujourd'hui à légitimer la suspension des normes humanitaires et constitutionnelles les plus fondamentales ? Ce livre montre qu'on ne peut aujourd'hui ni ignorer ni lire naïvement ce penseur des limites de la raison libérale.
Jean-Claude Monod, docteur en philosophie, chercheur au CNRS (Archives Husserl), est l'auteur de La Querelle de la sécularisation (Vrin, 2002) et de nombreux articles de philosophie politique, principalement consacrés à Foucault, Max Weber et Carl Schmitt.
Préface à l'édition 2016. Ennemi absolu, état d'urgence permanent ? Du 11 septembre au 13 novembre
Introduction
1. Un usage critique des concepts schmittiens est-il possible ?
Les usages opposés de Schmitt : une longue histoire
L'état d'exception à partir de la " tradition des opprimés " : le renversement de Walter Benjamin
Un précédent dans les lectures opposées de textes schmittiens Légalités et légitimités et les écrits de 1932µ
Une compromission radicale avec le nazisme et l'antisémitisme d'État
L'" ennemi " dans la pensée schmittienne : une constante antisémite ?
La polarité d'après guerre : consolider l'ordre libéral républicain, penser la guérilla
Guérilla et ennemi de clase : par où Schmitt séduit l'extrême gauche
Théorie politique, théorie et politique
2. La banalisation de l'exception : essence de la politique moderne ou nouvelle gouvernementalité sécuritaire ?
Principes, topologie et historique de l'état d'exception
L'intégration juridique de l'état d'exception : limitation et énumération des conditions
La banalisation de l'état d'exception dans l'histoire moderne
L'exception au présent ou le présent comme état d'exception permanent ?
Extrémismes, exception et normalité
Une nouvelle gouvernementalité sécuritaire
Une critique autodestructrice
3. La déstabilisation du droit de la guerre : vers un droit international d'exception ?
Le Nomos et la limite
La valeur politique de la limite
La fin de la Respubilca christiana, l'avènement des États souverains et la neutralisation de la guerre juste
La guerre d'anéantissement
Le grand espace impérial contre l'universalisme humanitaire : l'envers de la critique
L'antipolitique libérale au service de l'économie, et la déterritorialisation radicale
4. Le terrorisme, nouvelle figure de l'ennemi ?
Le droit des gens classique et son concept de guerre
Le combattant irrégulier, aux limites du droit
Le partisan déterritorialisé
État de droit et dispositifs de sécurité : les dangers de l'"auto-immunisation "
Conclusion.