Issu d'une enquête de terrain de deux ans en Seine-Saint-Denis, cet ouvrage donne la parole à des migrants récemment arrivés et à des familles immigrées de longue date. En se racontant, hommes et femmes, jeunes et parents sortent collectivement du silence. Ils relatent le " travail de l'exil ", d'épreuve en épreuve, et questionnent les métissages socioculturels, d'une génération à l'autre, dans les quartiers populaires. Au coeur de leurs vies, les " trous de mémoire " des familles et les " blancs " de l'histoire des migrations se conjuguent aux non-dits actuels de la société française et de son modèle d'intégration.
Parmi ces personnes, nombreuses sont celles qui vivent une triple rupture : avec leur passé (quand il ne leur est pas transmis), avec leur langue et leur culture d'origine (quand celles-ci sont censées disparaître) et avec la réussite sociale en France (quand elles se sentent mises au ban). La plupart ont connu différentes formes de précarité et parfois de violence, liées aux histoires personnelles, mais aussi aux problèmes de séjour, aux dominations de classe, de race et de genre. Ces parcours montrent, en effet loupe, les tensions sociales, les souffrances de l'exil, les impasses du métissage quand prévalent l'aveuglement, le mutisme et les relégations.
Pascale Jamoulle est docteure en anthropologie, licenciée en lettres et assistante sociale. Chargée de cours à l'UMONS (Université de Mons) et professeure à l'UCL (Université de Louvain), elle est membre du Centre de recherche en inclusion sociale (CeRIS/UMONS) et du Laboratoire d'anthropologie prospective (Laap/UCL). Elle a notamment publié à La Découverte Des hommes sur le fil (Poche, 2008), Fragments d'intime (2009) et Par-delà les silences (2013).
Difficile de parler d'où l'on vient, dans notre France universaliste, qui prône l'égalité de tous, quitte à condamner au silence l'expression des différences. Aussi n'est-il pas étonnant qu'un ouvrage sur les parcours de migration, la manière dont ils sont vécus, les traces qu'ils laissent dans le psychisme, et la façon dont ils s'opèrent des métissages entre la culture d'origine et celle du pays d'accueil nous arrive d'une anthropologue venu d'ailleurs... La Belge Pascale Jamoulle a passé deux ans à côtoyer des migrants en Seine Saint Denis. Certains l'ont hébergée chez eux et ont pu, grâce aux liens qu se tissaient, revenir sur leur histoire. Leurs récits lèvent le voile sur les ressorts internes et externe qui ont conduit à un départ. Ils montrent également la façon dont les conditions de vie en France, souvent très difficiles, peuvent réactiver des situations traumatiques vécues dans leur pays d'origine, et être source de souffrances redoublées. Certains y perdent les ressources (matérielles et psychiques) dont ils disposaient à leur arrivée et se livrent à des prises de risque importantes. D'autres ont la chance, au gré des rencontres, de développer des capacités nouvelles - mais, là encore, souvent au prix fort, celui de multiples ruptures. A lire de toute urgence.
2013-11-01 - La Gazette Santé Social
On a tous vu ces images de bateaux surpeuplés, de personnes au regard hagard et épuisé, qui symbolisent la fin d'un parcours dangereux, voire fatal. Que deviennent ces migrants une fois franchies les portes de l'Europe ? Quelles traces laissent ces voyages dans ces populations et leurs descendants ? Pascale Jamoulle, anthropologue, a enquêté pendant deux ans auprès des migrants de Seine Saint Denis en les questionnant sur leurs vécus pré- et post-migratoires. Lentement, elle a su gagner leur confiance, allant jusqu'à loger chez eux, pour les inciter à se libérer de leurs non-dits. Nombreux sont ceux qui, parmi eux, ont subi de multiples ruptures: avec leur passé, avec leur langue et leur culture d'origine, et avec leur rêve de réussite sociale en France. Difficile alors de se bricoler une identité à partir d'une culture d'origine et d'un passé familial non transmis. Certains y perdent leurs ressources matérielles et psychiques, et se livrent à des prises de risques importantes. De son récit criant d'humanité, la souffrance et le malheur occupent une place centrale. Toutefois, l'accent est mis sur la volonté de ces migrants de se faire une place coûte que coûte, malgré la stigmatisation, la violence et le rejet. On ne peut que rendre hommage à la ténacité de l'auteur à faire parler ces familles. Elle nous offre un point de vue rare, qui invite à prendre le contre-pied de l'information relayée par les médias. Une chose est sûre: on ne sort pas indemne de cette lecture.
2013-12-01 - Eléonore de Vaumas - L'Ecole des parents
Les migrants ont beau focaliser l'attention publique, surtout en temps de crise, leurs trajectoires de vie restent mal connues, sinon occultées. Abdelmalek Sayad avait déjà montré le poids de ces non-dits. Pascale Jamoulle, anthropologue, déjà remarquée pour ses travaux sur la construction de l'identité masculine en situation précaire, fait de même, en pointant la forte réticence des travailleurs sociaux à aborder la question. Deux années durant, elle a recueilli les récits de vie de migrant(e)s vivant en Seine-Saint-Denis, d'âges et de statuts divers. Sans noircir ni enchanter leurs trajectoires, elle met à jour les tensions spécifiques dans lesquelles s'inscrit le travail de l'exil et l'ambivalence profonde qui caractérise ces expériences de métissage. Mais toutes singulières qu'elles soient, ces trajectoires révèlent une série d'éléments communs. Exemple parmi d'autres : l'auteure pointe deux filières qui ont permis à beaucoup de se débrouiller une fois en France au prix d'une exploitation plus ou moins destructrice : le marché secondaire des "délocalisations sur place" profitant de leur vulnérabilité administrative, et celui des "business" souterrains.
2014-01-01 - Igor Martinache - Alternatives économiques
Ce sixième ouvrage de l'anthropologue Pascale Jamoulle est issu d'une enquête de deux ans réalisée en Seine-Saint-Denis, où la précarité fait écho au sentiment d'exil. Ici Pascale Jamoulle s'intéresse aux migrants venus de différents continents et aux familles immigrées de longue date. Son travail porte sur l'exil, sur la manière dont l'identité des migrants se modifie d'épreuve en épreuve, selon les nouveaux contextes de vie et les milieux sociaux dans lesquels ils évoluent. Leurs identités se métissent, d'abord avec l'expérience de la migration, puis lors de leur arrivée et de leur installation en France, quand de nouveaux liens sociaux se tissent au travers de l'apprentissage de nouvelles pratiques sociales. Le processus de construction de l'identité des migrants se trouve également lié aux situations de violences vécues, liées aux histoires personnelles, aux problèmes de séjour ainsi qu'aux dominations de classe, de race et de genre. Tenter de comprendre l'impact de la migration sur l'identité de l'individu, c'est mettre à jour des blessures jusqu'alors tues, qui se transmettent subrepticement/souterrainement, dans le silence, aux générations suivantes. Pascale Jamoulle va au-delà de l'analyse individualiste en mettant à jour des dynamiques collectives. Grâce à un important travail de terrain, fruit de rencontres multiples et d'une enquête réalisée au sein d'un centre social, Pascale Jamoulle présente des conclusions à partir d'une quinzaine de récits de vie, mêlant histoire individuelle et histoire familiale.
2014-01-10 - Lucie Laplace - Liens socio
Remerciements
Introduction. Des silences conjugués
I / Nouveaux migrants. Le travail de l'exil en grande précarité d'existence
1. L'ambivalence des départs
Des réfugiés " psychiques "
D'anciens enfants des rues
Des sujets qui fuient des violences organisées
Des femmes qui s'émancipent
Des jeunes " missionnés "
Des artistes en quête d'accomplissement
Un " travail de l'exil " marqué par les silences
2. Arriver, survivre, se cacher et se taire
L'économie grise : exploitations et trahisons
Cassures et criminalisation des vies clandestines
Tomber dans les scènes de trafic : l'exemple du crack à Saint-Denis
L'effet entonnoir des scènes de drogues
Des vies invisibles, en impasse
Des prises de risques migratoires aux conduites à risques
3. Faire famille dans l'illégalité
Quand " on n'a plus de mots " pour la famille au pays
S'attacher après des vécus extrêmes
Des violences conjugales cachées
Des vies grises : les " mariages papiers "
Des enfants ballottés et insécurisés
Des vies de famille au secret
4. Intervenir au-delà du mutisme et de l'aveuglement
La réduction des risques de la vie en clandestinité
Prévention de la violence faite aux femmes en difficultés de séjour
Le travail préventif et collectif en centre d'hébergement
La clinique des situations extrêmes
Une aide sociojuridique précoce
Par-delà le silence, la transmission des parcours migrants
II / Familles immigrées. Métissages dans le " département-monde "
5. Les " intransmissibles " : histoire des immigrations de travail
Un ancien territoire industriel, une banlieue rouge
L'empreinte d'une histoire coloniale et postcoloniale passée sous silence
Les " blancs " des histoires familiales
Un modèle assimilationniste qui précarise les transmissions parentales ?
Rendre leur dignité aux histoires
6. Les " non-dits " sociaux en banlieue
Une égalité explicite et des discriminations implicites
Les confinements spatiaux
Les confinements professionnels
Des quartiers à l'ombre de l'économie informelle
Privations socio-affectives et tensions de genre
Rendre l'implicite explicite
7. Les " indicibles " des métissages
Les " réidentifications " néotraditionnelles
Les " identités de substitution " dans les vides et les rejets culturels
Les " dédoublements " et les coupures liés aux conflits de cultures
Les conflits de loyauté en contexte discriminant
Relancer les narrativités, déployer les logiques métisses
Conclusion. Sortir du silence sur les migrations d'hier et d'aujourd'hui
Bibliographie
Notes.