Du statut de " fondateur " de la sociologie française attribué à Émile Durkheim à la façon dont on s'empare régulièrement du personnage de Gabriel Tarde à des fins moins historiques que polémiques, l'histoire des sciences sociales en France est traversée par un certain nombre de mythes fondateurs qui ne résistent pas à l'analyse historique rigoureuse, et que l'on enseigne pourtant aux générations d'étudiants depuis parfois plusieurs décennies. Ce sont ces mythes que Laurent Mucchielli entreprend de déconstruire dans cet ouvrage ambitieux. La première partie interroge la façon d'écrire l'histoire et met en question des idées pourtant classiques en sociologie : ainsi de l'opposition entre sociologie allemande et sociologie française, entre tradition durkheimienne et tradition wébérienne, de la coupure radicale qu'aurait introduite l'École des Annales en 1929 dans l'histoire de l'historiographie française, ou encore du mythe selon lequel la psychologie sociale n'existerait que depuis les années 1960 en France parce que la sociologie durkheimienne l'aurait " tuée dans l'œuf " à la fin du XIXe siècle. À chaque fois, Laurent Mucchielli montre comment ces versions du passé procèdent de jugements anachroniques et intéressés qui ne sont pas fondées historiquement. Dans une seconde partie, à travers l'étude du conflit entre la sociologie durkheimienne et la raciologie des anthropologues au moment de l'affaire Dreyfus, du conflit entre Halbwachs et Blondel sur la psychologie collective, de la naissance de la psychologie universitaire autour de Ribot, ou encore de la stratégie d'écriture des Règles de la méthode sociologique par Durkheim, l'auteur illustre la nécessité d'analyser les contextes, les réseaux, les conflits, tels qu'ils se déroulèrent, réellement à l'époque.
2004-03-01 - Pascale Gruson - Études
[...] cet ouvrage invite à inscrire les théories, les oeuvres et les penseurs dans le contexte des débats de leur époque pour mieux en saisir les enjeux de pensée et de pouvoir.
2004-06-01 - É. V. - Vient de paraître
Introduction - Mythe, histoire et mémoire - Histoire, mémoire et pédagogie disciplinaires - La part des hommes - L'approche historienne de l'histoire des sciences humaines - Avertissement - Dédicace - I. Comment écrire l'histoire des sciences modernes ? - 1. Heurs et malheurs du durkheimisme - Durkheim, " père fondateur " de la sociologie française ? - Les excès de l'analyse institutionnelle : Durkheim, meilleur stratège ? - Les erreurs du présentisme : Durkheim, premier holiste ? - La recherche scientifique : une pratique collective - Les conditions intellectuelles collectives d'une fondation scientifique - La réception des idées de Durkheim - Comment les acteurs du présent manipulent la mémoire de la discipline - Une construction présentiste : l'opposition Durkheim/Weber - La mémoire disciplinaire comme enjeu et recherche de légitimité symbolique - Du passé au présent : lire et enseigner Durkheim - Forces et faiblesses de l'historiographie durkheimienne - Lire Durkheim dans son époque pour mieux comprendre notre temps - Conclusions générales - 2. Tardomania ? Les usages contemporains de Tarde -Tarde et la promotion du paradigme individualiste en sciences humaines - Tarde et la criminologie de Jean Pinatel - Tarde et la sociologie de Raymond Boudon - Tarde et l'étrange renouveau annoncé des sciences humaines - Figures de l'hagiographie tardienne - Tarde, précurseur de la sociologie moderne des réseaux ? - Un réseau deleuzien de " philosophie tardienne " - La place de Tarde dans l'histoire des sciences humaines - La conception tardienne de l'individu : une enveloppe sans substance - La controverse Durkheim-Tarde : les leçons de l'histoire - Pour conclure - 3. La guerre n'a pas eu lieu : les sociologues français et l'Allemagne (1870-1940) - Le contexte intellectuel de référence à l'Allemagne - Les durkheimiens et l'Allemagne - Le rôle de Durkheim - Le rôle de Bouglé - Le rôle d'Halbwachs - La réception de Simmel et Weber en France - La réception de Simmel - La réception de Weber : Durkheim et Weber ; Halbwachs, premier introducteur de Weber - La production d'un mythe historiographique - De Raymond Aron (1905-1983)... - ... à Raymond Boudon - À quoi sert l'histoire de la sociologie ? - 4. Aux origines de la Nouvelle Histoire - Une histoire " positiviste " - Contextualiser un usage intellectuel - Le manifeste de Monod en 1876 : une relecture - L'histoire prise dans le champ des sciences sociales à la fin du XIXe siècle - Le défi statistique : les grands hommes et les masses - Le défi sociologique - Diversité des réactions des historiens - L'aspiration nouvelle à une science de l'histoire - Vers une science de l'histoire - Henri Berr et la Revue de synthèse historique - Vers l'histoire économique et sociale - Les hommes - Les recherches et les revues - La première revue d'histoire économique et sociale - Questions générales sur l'émergence de la nouvelle histoire en France à la fin du XIXe siècle - Un chaînon manquant : Fustel de Coulanges - Une génération normalienne et dreyfusarde - Conclusion générale - 5. Sociologie et psychologie, l'appel à un territoire commun. Vers une psychologie collective (1890-1940) - La sociologie comme réaction à la psychophysiologie de la fin du XIXe siècle - La constitution de la psychophysiologie en France - L'inter-psychologie de Tarde - La réaction de Durkheim - La psychologie collective dans l'œuvre des premiers durkheimiens - La construction sociale des catégories de la pensée - L'influence de la sociologie sur la psychologie -De l'indifférence à la reconnaissance (1900-1920) - La percée intellectuelle des sociologues - Un indice majeur : le Traité de psychologie de Dumas en 1923 - Vers une psychologie collective (1920-1940) - La contribution des sociologues - La contribution des psychologues - Une génération de psychologues découvre l'influence du social - II. La science dans son contexte : conflit, controverses, concurrences - 6. La critique durkheimienne de l'anthropologie raciale dans le contexte de l'affaire Dreyfus - La centralité de la notion de race dans l'anthropologie du XIXe siècle - Le paradigme évolutionniste racial en sociologie : l'œuvre de Letourneau - Le premier temps de l'offensive durkheimienne : la critique méthodologique - Une réfutation du facteur racial - La nouvelle dimension politique de la notion de race - La raciologie aristocratique et la métaphysique héréditariste de Gobineau à Vacher de Lapouge - L'engagement de Célestin Bouglé - Contre le racisme et l'antisémitisme - L'Année sociologique et l'anthroposociologie - Avant et après Manouvrier - Pour en finir avec l'anthropologie raciale - La force d'une équipe et l'étendue d'un réseau - À l'avant-garde du champ intellectuel - Conclusions - 7. Les débuts de la psychologie universitaire - Introduction : Ribot l'oublié ? - Les combats philosophiques et politiques de Ribot - Le parcours de Théodule Ribot - L'hérédité comme fondement et programme de la psychologie - L'instrument décisif : la Revue philosophique et ses réseaux - Le programme de 1876 : un manifeste sans ambiguïté - Évolutionnisme, expérimentalisme et naturalisme - Causalité physiologique, mesure mathématique et observation pathologique - Les premiers réseaux de la Revue philosophique : le réseau normalien ; le réseau des nouveaux psychologues évolutionnistes ; le réseau des médecins - La Société de psychophysiologie de Paris - La consécration de Ribot et l'institutionnalisation de la psychologie - Vers le Collège de France - Le principal artisan de la psychologie universitaire en France - Conclusions : les domaines de la psychologie au tournant du siècle - 8. Pour une psychologie collective. La querelle entre Halbwachs et Blondel - Une concurrence intellectuelle - Charles Blondel (1876-1939) - Maurice Halbwachs (1877-1945) - Une rivalité manifeste - Mémoire et aphasie : première controverse - Les thèses d'Halbwachs - De l'organique au psycho-sociologique - Les critiques de Blondel - Réponse et réponse à la réponse... - Le débat sur les causes du suicide - " Ainsi s'explique le conflit qui met aujourd'hui aux prises sociologues et psychiatres... " - La sociologie compréhensive d'Halbwachs - La réponse de Blondel - Le modèle épistémologique du microbe et du bouillon de culture - Absence de dialogue - Entre biologie et sociologie : quelle place pour une psychologie de l'individu ? - Absence d'une psychologie individuelle chez Blondel - Absence d'une psychologie individuelle chez Halbwachs - Conclusion : d'une génération intellectuelle à une autre - 9. Pourquoi réglementer la sociologie ? Les interlocuteurs de Durkheim - Les interlocuteurs " officiels " des Règles - Deux éminents et encombrants prédécesseurs - La tradition scientifique de la philosophie - La rareté des sources scientifiques françaises et étrangères - Fondation ou domination du champ sociologique ? - Les Règles dans la trajectoire personnelle de Durkheim -Silences et occultations - L'état des études sociologiques françaises en 1894-1895 - " Le groupe anthropologique et ethnographique " et la question du facteur individuel dans la vie sociale - " Le groupe criminologiste " et la définition du fait social - Le " groupe universitaire " ou la confirmation de l'enjeu stratégique des Règles - Conclusion - 10. La " révélation " d'Émile Durkheim - De l'émancipation religieuse à une théorie de l'influence et de l'inconscient social - De la pratique religieuse à la sociologie des religions - Émancipation religieuse et dissolution de l'individu - La scène primitive et l'inconscient social : la personnalité de Durkheim - Des dépressions régulières - Acquis et limites des interprétations traditionnelles - De la neurasthénie à la dépression chronique : l'évolution d'un concept - Le diagnostic de la dépression - L'unité fusionnelle perdue du clan religieux, la névrose créatrice de Durkheim et le sens de son récit de découverte - Les nourritures sociales ou l'individu sans substance - L'Unité fusionnelle perdue du clan religieux - Le retour de l'introspection - Conclusion : aux origines de l'" École française de sociologie ", la part de l'homme - Psychologie de la découverte et notion de " névrose créatrice " - Index nominum.