Comment est-on passé de la dénonciation de la " maternité esclave " par le MLF (Mouvement de libération de la femme) à la culpabilisation des mères ? De quelle manière la toute-puissance exercée par les parents sur leurs enfants a-t-elle cédé la place à l'encadrement des mères et des pères par les professionnels de la santé et de l'éducation ?
Interrogeant pour la première fois ces évolutions paradoxales, Sandrine Garcia donne à voir comment, durant la lutte pour la régulation des naissances, de nombreux médecins dénoncent le magistère moral exercé par un Ordre des médecins majoritairement catholique, au profit d'une autorité se voulant uniquement scientifique. Puis, revisitant les étapes majeures de la construction de la " cause de l'enfant ", l'auteure montre comment nombre de psychanalystes de l'enfant - en particulier Françoise Dolto - investissent massivement le champ de l'éducation : le destin des femmes passe désormais par le bien-être de l'enfant tel que le définissent ces experts.
Ce brouillage des registres entre clinique et morale aboutit, aujourd'hui, à la dénonciation d'une nouvelle maltraitance : la " violence éducative " qu'exerceraient les parents réfractaires aux bons usages. D'où l'émergence d'un militantisme individuel et institutionnel pour faire sanctionner les " déviances " parentales, au risque de stigmatiser les pratiques les plus éloignées de la norme incarnée par les classes moyennes : celles des milieux populaires.
Sandrine Garcia est maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-Dauphine et enseignante chercheuse à l'IRISSO (Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales). Ses recherches portent sur l'expertise et la mobilisation des savoirs scientifiques dans les luttes sociales ou/et les politiques publiques, ainsi que sur les formes de naturalisation du social. Elle notamment l'auteure de Mères sous influence (La Découverte, 2011).
Pourquoi l'égalité de droit entre les hommes et les femmes, vieille désormais de plusieurs décennies, n'a-t-elle pas suffi pour en finir avec les inégalités de fait ? Si les femmes peuvent avoir le même pouvoir social que les hommes, si tout désormais leur est ouvert, pourquoi occupent-elles massivement des positions inférieures ? Bref, pour paraphraser Rousseau, si la femme naît libre, pourquoi se retrouve-t-elle dans les fers ? Deux théories cherchent à répondre à cette question grinçante. La première attribue à la haine masculine la responsabilité de ces inégalités, haine qui se manifeste sous forme de violences physique, sexuelle, verbale et symbolique. De nombreuses lois votées depuis le début des années 1980 jusqu'à nos jours s'inspirent de cette théorie comme celles qui portent sur les violences sexuelles et conjugales, la parité, ainsi que le port des foulards et des burqas. D'après la seconde théorie, en revanche, la source des inégalités provient des conditions dans lesquelles les femmes se conçoivent comme sujets et accomplissent leur métier de mère : en adhérant aux règles du maternage, elles s'assujettissent et elles consentent, sans qu'aucun mâle les bouscule, à leur propre esclavage. Mères sous influence, de la sociologue Sandrine Garcia, spécialiste du rôle des experts dans les luttes sociales, s'inscrit dans le sillage de ce second courant de pensée. Dans ce livre, elle cherche à démontrer le rôle joué par les maîtres à penser, qu'elle dénomme des entrepreneurs de morale, dans l'élaboration des normes maternelles. Pour éclairer le processus de fabrication de ces normes, l'auteur oppose deux figures emblématiques. D'une part, le médecin Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, fondatrice en 1956 de l'association Maternité heureuse, puis du Mouvement français pour le planning familial. D'autre part, la célèbre psychanalyste Françoise Dolto, auteure deLa Cause des enfants(1985).
2011-01-28 - Marcela Iacub - Le Monde
Être parent est devenu un métier plus exigeant que jamais... particulièrement pour les mères, sur lesquelles reposent encore très largement l'essentiel de l'éducation des enfants. Dans un ouvrage très récemment paru, Mères sous influence, la sociologue Sandrine Garcia dénonce la violence symbolique exercée par les experts qui accablent les familles.
2011-01-29 - Catherine Halpern - Télérama
Dans les années 1950, le mouvement incarné par la "Maternité heureuse", ancêtre du Planning familial, défend la cause des mères et réclame la régulation des naissances (mais pas l'avortement). Il entend ainsi éviter les drames nés des maternités non désirées. Le milieu des années 1980 voit émerger un autre mouvement qui défend l'intérêt des enfants, sous l'impulsion de Dolto. La sociologue Sandrine Garcia montre comment ces deux courants sont étroitement liés. "Il se joue entre eux une bataille des normes dont l'objectif est la délimitation du métier de mère". Ce livre donne de l'épaisseur aux débats récents sur la maternité.
2011-02-01 - Sophie Labit - Regards
Comment sommes-nous passés de la cause des femmes à celle des enfants ? De la maternité choisie à la culpabilisation au nom de nos petits ? L'intérêt du livre de la sociologue Sandrine Garcia est de démontrer le processus à l'oeuvre depuis une cinquantaine d'années, de la fondation du planning familial à la notion actuelle de "déviance parentale". Au nom de la lutte contre la violence, la victimisation des enfants entraîne la stigmatisation des parents: une fessée est mise sur le même plan qu'une maltraitance. L'auteure y voit l'influence paradoxale de la psychanalyse, et plus particulièrement de Françoise Dolto et de ses disciples. En plaçant l'enfant au coeur de la réflexion, en lui conférant une forme de toute-puissance, on a fait abstraction des besoins de la mère. Sandrine Garcia démontre qu'au final, la note est surtout payée par les milieux populaires, dont les pratiques ne vont pas dans le sens de ce nouvel ordre éducatif.
2011-03-01 - Evelyne Bloch-Dano - Marie-Claire
Par une étude fine et très documen tée des articulations qui lient, et parfois opposent, féminité et maternité, Sandrine Garcia, enseignant-chercheur et maître de conférences en sociologie à l'université Paris Dauphine, spécia liste du rôle des experts dans les luttes sociales, propose une lecture chronolo gique de ce que serait " le métier de mère " avec une analyse du rôle des figures de cette histoire. Un premier mouvement présente l'affranchisse ment des contraintes d'une maternité subie, où une alliance est scellée entre la cause des mères et celle des femmes. S'élabore alors une " croisade morale " portée par l'intelligentsia prônant la régulation des naissances, où sont stig matisées les familles, les femmes, qui ne contrôlent pas parfaitement leur fécondité. Suit un deuxième mouve ment avec la construction de la " cause de l'enfant ", incarné par Françoise Dolto, qui exige une disponibilité sans faille de la mère et une éducation fon dée sur l'épanouissement de l'enfant. Analysant les politiques publiques qui transforment des normes éducatives, socialement situées, en politiques sociales, l'auteur montre comment les notions de " violence éducative ", ou de déviance parentale contribuent à repro duire les rapports de genre et de classe. En effet, S. Garcia expose combien ce sont les femmes des classes populaires qui se trouvent disqualifiées par des professionnels. Elle montre alors com ment les normes de maternage relèvent moins aujourd'hui de la morale domi nante – dont on peut s'écarter – que de contraintes souvent juridiques.
2011-09-01 - Anne Mortureux - Etudes
Début 2011, Sandrine Garcia, sociologue et Maître de conférences à l'université Paris-Dauphine, publie Mères sous influence. De la cause des femmes à la cause des enfants. Une expertise dans laquelle l'auteure met en évidence que la cause des enfants a pris le dessus sur celle des femmes quitte à les piétiner. Et réintroduire la question du genre en opposant la cause des bambins à celle des femmes. L'analyse de Sandrine Garcia est ambitieuse. Comprendre la notion de genre et la sexualité comme phénomène social et politique. S'interroger sur une question privée qui s'invite dans la sphère publique.
2011-09-01 - Sarah Belhadi - L on Top
Introduction
I / Familles nombreuses ou familles heureuses ?
1. L'émergence de la lutte pour la libre maternité
Le Deuxième sexe et le renouvellement des luttes féministes
Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé : naissance d'une vocation
La création de Maternité heureuse
La rupture avec le PC
2. Des médecins novateurs
Des raisons professionnelles et politiques de s'engager
Des trajectoires professionnelles contrariées
D'un mouvement d'opinion à une action institutionnelle
II / La sécularisation de la morale médicale
3. Des entrepreneurs de morale
La rationalisation de la procréation : vers l'" enfant de qualité " et l'épanouissement de l'humanité
Le double front de la lutte des classes
Le rempart du féminisme paternaliste
4. L'invention d'un pôle d'expertise légitime
L'élargissement du recrutement
Une science moralement fondée
5. Le tournant de l'avortement
La psychanalyse contre les indications médicosociales
Le recrutement de l'ANEA
La constitution du MLAC et la crise du Planning familial
III / La construction psychanalytique d'une " cause de l'enfant "
6. Des politiques sanitaires à la psychanalyse de l'enfant
La naissance d'une orthopsychanalyse française
La diffusion de la psychanalyse de l'enfant dans la pédiatrie institutionnelle
Des politiques de lutte contre les troubles de l'attachement
7. Françoise Dolto : la conquête d'une autorité savante
L'institution d'un magistère moral
Subversion des catégories et logiques de distinction
Transfiguration du familialisme catholique et ordre naturel des genres
L'incompétence des mères et le savoir de l'expert
8. La production d'une doxa scolaire " révolutionnaire "
Le monopole lacanien de la radicalité
" Idéologie du don " et révolte d'héritiers
IV / La construction des " déviances parentales "
9. Des engagements psychanalytiques au service de la parentalité
Les conférences sur la parentalité
Les " lieux d'accueil enfants-parents "
10. De l'enfant sujet à l'enfant victime
La criminalisation des " déviances parentales "
La montée en puissance d'une expertise européenne
Éduquer les parents, réprimer les déviants
11. L'affaiblissement du monopole de la psychanalyse
L'appropriation de l'héritage
Psychologisation et médicalisation de l'échec scolaire : redéfinition de la dyslexie
" Doxa " pédagogique et inégalités sociales
Conclusion
Remerciements.