" Façonner le monde atome par atome " : tel est l'objectif incroyablement ambitieux affiché par les promoteurs américains de la " National Nanoinitiative ", lancée en 1999. Un projet global de " convergence des sciences ", visant à " initier une nouvelle Renaissance, incorporant une conception holiste de la technologie fondée sur [...] une analyse causale du monde physique, unifiée depuis l'échelle nano jusqu'à l'échelle planétaire ". Ce projet démiurgique est aujourd'hui au cœur de ce qu'on appelle la " technoscience ", étendard pour certains, repoussoir pour d'autres.
En précisant dans ce livre la signification de ce concept, pour sortir enfin du sempiternel conflit entre technophiles et technophobes, son auteure propose d'abord une sorte d'archéologie du terme " technoscience ". Loin d'être un simple renversement de hiérarchie entre science et technique, il s'agit d'un changement de régime de la connaissance scientifique, ayant désormais intégré la logique entrepreneuriale du monde des affaires et mobilisant des moyens considérables. Surtout, Bernadette Bensaude-Vincent montre que le brouillage de la frontière entre science et technique n'est que la manifestation d'un tremblement plus général, marqué par l'effacement progressif des distinctions traditionnelles : nature/artifice, inerte/vivant, matière/esprit, homme/machine, etc.
Alors que nos sociétés sont silencieusement reconfigurées par les nanotechnologies, Internet, le génie génétique ou les OGM, ce livre montre l'importance de faire enfin pleinement entrer les questions de choix technologiques et scientifiques dans la sphère du politique et dans l'arène publique. Car la technoscience est un processus historique qui engage la nature en la refaçonnant et qui implique la société dans son ensemble.
Bernadette Bensaude-Vincent est professeure d'histoire et de philosophie des sciences à l'université de Paris-X-Nanterre). Elle est l'auteur de nombreux ouvrages, dont, à La Découverte, Histoire de la chimie (avec Isabelle Stengers, 1993, 2002) et Des savants face à l'occulte, 1870-1940 (codirigé avec Christine Blondel, 2002).
Introduction. " Façonner le monde atome par atome " - Aux origines de la technoscience - Un régime de savoir - Une choc culturel - Un modèle de société - I / Archéologie d'un nouveau pouvoir - 1. La fin d'un âge d'or ? - Chronique d'une mort annoncée - Aux origines de l'organisation de la recherche française : une campagne pour la science - La science pure comme credo - Une affaire d'État - 2. Nouveau régime - La consécration du complexe militaro-industriel - Du modèle linéaire " science-d'où-technique " aux chercheurs " entrepreneurs " - Du militaire à la compétition économique - 3. La science comme production - La connaissance scientifique est devenue un bien appropriable - Des instruments moteurs de recherche - La research-technology, accoucheuse de la technoscience - 4. Un concept démystificateur - Crépuscule d'une idole, la " science pure " - Parler vrai : désigner la science telle qu'elle se fait - Un signal postmoderne ? - 5. De l'interdisciplinarité à la convergence -Technosciences ou technoscience ? - Haro sur les disciplines - Bottom-up, ou le récit des origines du programme américain NBIC - Triomphe de la molécularisation - 6. Des politiques visionnaires et culturelles - Un processus téléologique - Etats-Unis, Europe : deux visions de la convergence - Des engagements communs - II / Un monde sans frontières - 7. La figure imaginaire du Cyborg - Des chimères militaires aux chimères postmodernes - L'émergence de la cyberculture et du tout-information - 8. Aux confins de la matière - Les " immatériaux ", symboles des ambiguïtés de la " condition postmoderne " - La réactualisation d'un vieux fantasme : repousser les limites de la matière - Humain, posthumain - La technique biologisée - 9. La fin de la nature ? - Un cliché de la postmodernité - Naturel/artificiel : une distinction peu robuste - De l'" inexorable nature " de Galilée au divorce homme/nature - 10. La posture des technosciences - Des dispositifs opérationnels - Des sujets immergés - Des objets individualisés - 11. La nature comme horizon de possibles - Licence d'agir : " Les nanotechnologues aiment la nature " - Modèle ou antimodèle ? - Le " biomimétisme ", ou les chimistes à l'école de la nature - La boîte à outils de la biologie synthétique - De nouvelles pierres philosophales - 12. Un monde plat - Le cauchemar de la raison technoscientifique et l'impossible confinement - Pour un monde sous-tension - Un triangle d'or : nature, artifice, culture - III / Questions de gouvernance - 13. Pièges et débats - Luddites et antiluddites - La croyance partagée dans la " flèche du progrès " - Des amalgames trop faciles - 14. L'éthique au secours des technosciences - Une nouvelle alliance ? - Les espoirs d'autorégulation - L'accompagnement éthique - Les éthiques appliquées et le principe de précaution - La pensée critique dissoute par les technosciences ? - 15. Technoscience et gouvernance - Complicité ou contradiction ? - Du biopouvoir au biocapital - Biologisation du politique : vers une " citoyenneté biologique " ? - 16. Expérimentation sociale - Des citoyens enrôlés - De bonnes (et moins bonnes) pratiques - Une tentative de co-construction : le programme européen de technologies convergentes - Un pilotage à vue : le projet Minatec à Grenoble - Conclusion. Civiliser les technosciences - Un destin ? - Une grande utopie - Requalifier le politique - Objectiver les techniques - Cultiver la nature - Favoriser la diversité épistémique - Bibliographie.