La lutte contre l'argent sale fait, depuis la fin des années 1980, l'objet d'une mobilisation internationale sans précédent. Faute de pouvoir s'en prendre directement aux auteurs des activités illégales (trafic de drogue, armes, corruption, terrorisme), la communauté internationale a entrepris de bloquer leurs flux financiers. Les banques se sont ainsi retrouvées à l'avant-poste de ce combat, contraintes d'adapter leur logique jusque-là exclusivement commerciale à une mission de police : détecter, et au besoin déclarer, les transactions jugées douteuses. Aujourd'hui, le dispositif bancaire de vigilance, équipé d'outils de filtrage, de profilage et de gestion des risques, concerne tous les clients et toutes les opérations.
Tout au long d'une enquête sociologique originale, les auteurs de ce livre ont tenté de comprendre comment les banques avaient fini par accepter une mission contraire à leurs principes de protection du secret et de non-intrusion dans les affaires de leurs clients. Au fil de nombreux entretiens, ils ont cherché à cerner les profils de spécialistes (banquiers, mais aussi anciens policiers et magistrats), les outils et les pratiques privilégiés. Alors que ces acteurs privés apparaissent tiraillés entre leurs impératifs professionnels et la menace de sanctions de la part d'institutions aux attentes imprécises, se pose la question de la légitimité et de l'efficacité de cette nouvelle forme de policing financier inaugurant une forme de collaboration inédite entre les milieux bancaire et policier.
Gilles Favarel-Garrigues est directeur de recherche au CNRS (Sciences Po-CERI). Auteur de nombreux travaux sur la délinquance, la police et la justice en Russie, il a récemment publié, avec Laurent Gayer, Fiers de punir. Le monde des justiciers hors-la-loi (Seuil, 2021).
Thierry Godefroy, économiste de formation, est chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les Institutions pénales (CESDIP). Il est notamment l'auteur du livre Le Capitalisme clandestin (avec Pierre Lascoumes, La Découverte, 2004).
Pierre Lascoumes est sociologue et juriste, directeur de recherche au Centre de recherche politique de Sciences Po. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels, notamment, Agir dans un monde incertain (avec Michel Callon et Yannick Barthe, Le Seuil, 2001), et Amours égales (avec Daniel Borrillo, La Découverte, 2002).
Introduction - Le laborieux ralliement des banques à l'anti-blanchiment - La diffusion internationale d'un régime global de prohibition - Le banquier dans le labyrinthe des normes - Banquiers et acteurs du " policing " - Un processus original : le changement sous stress institutionnel - Présentation de l'enquête - I / Une offensive globale aux contours imprécis - 1. La formation d'un sens commun universel - L'argent sale, nouvelle priorité internationale des années 1990 - La diffusion du " kit anti-blanchiment " - 2. D'une liste l'autre : les cibles des années 2000 - Priorité à l'anti-terrorisme - La gestion des listes noires - 3. Le périmètre incertain de l'anti-blanchiment - Les zones d'ombre de l'argent sale - Les marges de manœuvre nationales - II / L'anti-blanchiment en France et traductions professionnelles - 4. L'élaboration du cadre normatif français - L'incrimination de blanchiment - Dispositif de vigilance et de signalement - Les champs de l'omission fautive et de la déclaration de soupçon - Les acteurs institutionnels - 5. L'invention d'une spécialité - 1991-2001 : dix ans de tâtonnements - Premiers recrutements hétérogènes - L'hybridation des compétences - III / La fabrique d'un dispositif bancaire convergent de gestion des risques - 6. Le développement des instruments informatiques - De l'expérimentation à l'utilisation incontournable - La différenciation des instruments - 7. La formation, les réseaux et les autres facteurs d'homogénéisation - Des formations pour clarifier et diffuser la LAB - Une diversité de réseaux informels - La LAB comme gestion des risques - IV / La gestion pratique de l'argent sale dans les banques - 8. La reformulation interne des priorités - L'insertion dans les organigrammes - Une " conformité défendable " - 9. Les dilemmes pratiques de la LAB et la disciplinarisation du réseau - Les difficultés de la détection - Le ciblage des pratiques et des populations à risque - La disciplinarisation du réseau - 10. Des instruments à l'œuvre et des professionnels en quête de sécurité - Doutes sur le profiling - Le dédale des listes et des analyses comportementales - Des fraudes de plus en plus sophistiquées - 11. " Être conforme ", auditabilité de la LAB et responsabilité sociale des entreprises - Construction d'une " image appropriée " - V / Partenariat public-privé et coproduction de renseigenements - 12. La complainte du compliance officer Stress et ressentiment - La peur du " gendarme bancaire " - Les contraintes supplémentaires imposées par la CNIL - 13. Tracfin : banquiers, doutes et renseignements - Soupçons et suspicion - Partenaires malgré eux ? - 14. Nourrir le soupçon - Les échanges officieux entre banquiers et policiers - Les autres viviers de la pêche aux renseignements - 15. Sentinelles et blanchisseurs : les banquiers face aux magistrats - La répression judiciaire de l'argent sale L'interdépendance sur fond de défiance - Conclusion - Au-delà de l'affichage, l'appropriation de l'anti-blanchiment par les banques - Changement sous stress et partenariat imposé - Les banquiers, agents de renseignement - Annexes : Annexe 1. Codage des entretiens -Annexe 2. Sentier et UIMM : deux enquêtes emblématiques de l'anti-blanchiment en France - Annexe 3. Cadre législatif de la lutte anti-blanchiment - Annexe 4. Extrait du Questionnaire de la Commission bancaire sur les dispositifs bancaires de lutte anti-blanchiment (QLB) - Annexe 5. Statistiques des condamnations pour blanchiment (2003-2006) - Annexe 6. Statistiques d'activité de Tracfin -Bibliographie - Index.