Pendant la colonisation française, des dizaines de milliers d'enfants sont nés d'" Européens " et d'" indigènes ". Souvent illégitimes, non reconnus puis abandonnés par leur père, ces métis furent perçus comme un danger parce que leur existence brouillait la frontière entre " citoyens " et " sujets " au fondement de l'ordre colonial. Leur situation a pourtant varié : invisibles en Algérie, ils ont été au centre des préoccupations en Indochine. La " question métisse " a également été posée à Madagascar, en Afrique et en Nouvelle-Calédonie.
Retraçant l'histoire oubliée de ces enfants de la colonie, cet ouvrage révèle une face cachée, mais fondamentale, de l'histoire de l'appartenance nationale en France : il montre comment les tentatives d'assimilation des métis ont culminé, à la fin des années 1920, avec des décrets reconnaissant la citoyenneté à ceux qui pouvaient prouver leur " race française ". Aux colonies, la nation se découvrait sous les traits d'une race.
Cette législation bouleversa le destin de milliers d'individus, passant soudainement de la sujétion à la citoyenneté : ainsi, en Indochine, en 1954, 4 500 enfants furent séparés de leur mère et " rapatriés " en tant que Français. Surtout, elle introduisait la race en droit français, comme critère d'appartenance à la nation. Cela oblige à revoir le " modèle républicain " de la citoyenneté, fondé sur la figure d'un individu abstrait, adhérant volontaire à un projet politique commun et à souligner les liens entre filiation, nationalité et race.
(Cette édition numérique reprend, à l'identique, l'édition originale de 2007.)
Emmanuelle Saada est historienne et sociologue. Elle enseigne la sociologie historique de la colonisation à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Préface, par Gérard Noiriel
Introduction
I / Le métissage : une question sociale coloniale
1. Une question impériale
Nouvel empire, nouvelle question - Hybrides et bâtards - Géographie de la question métisse - Un problème impérial - Les chiffres du métissage
2. Menace pour l'ordre colonial
Légionnaires, filles de peu et parias - Déracinés et déclassés - Le spectacle du désordre - Dignité et prestige en situation coloniale
3. " Reclasser " les métis
Produire des métis en leur portant secours ? - De la nécessité d'intervenir - Vers une prise en charge par l'État colonial - Notables vs. prolétaires de la colonisation - Dépister, signaler et secourir - Passer les frontières - Vers une demande de droit
II / La question métisse saisie par le droit
4. Nationalité et citoyenneté en situation coloniale
Les enjeux d'une condition juridique - Les juristes et l'indigène - La citoyenneté française en pratique - Les métis entre sujétion et citoyenneté
5. La controverse des " reconnaissances frauduleuses "
Les " reconnaissances frauduleuses ", " fraudes " à la citoyenneté - Destin d'une controverse juridique - La production d'un droit impérial - Paternité, citoyenneté et ordre politique
6. La recherche de paternité aux colonies
La recherche de paternité en métropole : un texte de compromis - Un débat colonial - Paternité et citoyenneté : nature et volonté - Paternité et race
7. Citoyens en vertu de la race
Le droit hors de lui - La " question métisse " saisie par le droit - Le retournement de la jurisprudence - La fabrique du droit colonial - Vérité sociologique/vérité biologique, " droit reflet "/" droit instituant " - Mise en œuvre d'un droit racial
III / La force du droit
8. Le passage du droit : les effets de la citoyenneté sur la catégorie de " métis "
La racialisation des pratiques administratives - Renforcement de la prise en charge des métis - Les métis, des cadres de la colonisation - Une question postcoloniale
9. Des identités saisies par le droit
Des Français des colonies - Vers un multiculturalisme impérial ? - Catégorie juridique et sentiment d'identité
10. Le statut des métis, miroir de la nationalité et de la citoyenneté françaises ?
La race dans la loi - Métis coloniaux et métis juifs - La question métisse et les " modèles républicains " de la nationalité et de la citoyenneté
Conclusion
Sources
Bibliographie.