Depuis les années 1970, la pornographie s'organise comme un monde professionnel, se fixant pour tâche de représenter les désirs des consommateurs, mobilisant des savoir-faire spécifiques pour y parvenir. Alors que l'influence de ces images ou la violence qui les caractériserait sont souvent au centre des débats, ce livre, en s'appuyant sur une enquête de terrain au sein la production pornographique française, pose d'autres questions : comment les pornographes parviennent-ils à circonscrire un espace pour leur activité ? Quelles formes prennent les relations de travail dans un contexte de professionnalisation de la sexualité ? Comment s'opèrent les partages entre sexualité féminine et masculine, homosexualité et hétérosexualité, et pourquoi sont-ils ici un enjeu majeur ?
Mettant en marché les fantasmes, mobilisant les désirs des actrices et des acteurs, reposant sur des formes spécifiques d'exploitation, le monde de la pornographie permet de saisir certaines évolutions contemporaines du capitalisme, et leurs articulations avec les rapports de genre et de sexualité. Il offre également l'occasion de faire de l'hétérosexualité un objet d'enquête à part entière. Alors que réalisateurs et producteurs se donnent pour tâche de saisir une multiplicité de fantasmes, ils définissent leur métier comme masculin, mais aussi comme hétérosexuel. L'enquête met en évidence une circonscription paranoïaque de l'homosexualité masculine et les contradictions au principe de l'hétérosexualité, dans lesquelles les pornographes sont pris.
Mathieu Trachman est docteur en sociologie (IRIS/EHESS).
Le monde de la pornographie est une grande famille. C'est l'image dans laquelle ses professionnels se confortent ; une façon de nier les violences physiques ou psychologiques, la précarité de l'emploi ou encore la fragilité des trajectoires dans un univers dénué de structures protectrices. D'autres préfèrent n'y voir que pur et simple esclavage, s'empêchant du même coup d'en analyser les conditions de protections réelles. L'étude de Mathieu Trachman, qui a choisi de mener l'enquête en sociologue du travail, offre de nouvelles perspectives sur ce sujet débattu. L'un de ses apports concerne les relations de travail et les rapports de domination entre hommes et femmes. Souvent ancien acteur devenu réalisateur, le pornographe typique a développé un rapport riche et spécifique à la sexualité; c'est un expert du sexe. Malgré leur savoir-faire, les actrices, elles, se voient refuser ce statut et, par conséquent, passent rarement de l'autre côté de la caméra. Or, l'enjeu ne serait pas tant économique que sexuel : avant tout, " le contrôle professionnel est un contrôle de la sexualité des femmes ". Qui va de pair avec un réinvestissement du fantasme hétérosexuel masculin.
2013-01-04 - Julie Clarini - Le Monde des Livres
L'amateur de porno, on le connaît, il est bien identifié. En très grande majorité masculin, même si les femmes sont de plus en plus nombreuses, il regarde des scènes sur Internet, Canal + ou en louant des DVD. Il se masturbe, il jouit et passe à autre chose. En revanche, les petites mains derrière, celles qui jouent et produisent, sont nettement moins connues. Mathieu Trachman, jeune docteur en sociologie, a justement décidé de s'intéresser à ces ouvriers du porno, pour aller au-delà des clichés de l'argent et des femmes faciles. Entre 2006 et 2010, il a mené une enquête qualitative dans le milieu du porno hexagonal, publiée aujourd'hui dans le Travail pornographique, 300 pages denses et passionnantes. Il a rencontré 73 personnes pour tenter de saisir comment sont fabriqués les fantasmes. Avec un point de vue qu'il assume : gay, ayant pris conscience tardivement de son homosexualité, il s'intéresse tout particulièrement à la manière dont fonctionne le porno hétérosexuel. Cela lui permet d'adopter un point de vue distancié sur les pratiques mises en scène. Dans cette industrie, les producteurs et les réalisateurs, qui ont la plupart du temps la double casquette, jouent un rôle prépondérant. Dans un univers capitalistique ultraconcurrentiel, ils arbitrent entre leurs propres pratiques sexuelles, les fantasmes qu'ils veulent voir mis en scène et les désirs potentiels du spectateur.
2013-01-15 - Quentin Girard - Libération
À une question absurde - la pornographie produit-elle des formes de violence, d'aliénation ?-, Mathieu Trachman substitue des questions simples, mais rigoureuses : qu'est-ce que le métier de pornographe ? Comment fonctionne la pornographie ? Quelle est sa fonction sociale ? Il suffit de poser ces questions pour découvrir que les métiers de la pornographie mobilisent des expertises et des formes de capital sexuel qui font l'objet de luttes. Et que ces luttes reproduisent des rapports de pouvoir et de genre. Et il est bien évident que la revendication, de la part des femmes, d'une indépendance sexuelle trouve sa limite dans la division du travail sexuel. D'une part, les hommes détiennent le monopole de la production, d'autre part cette production est organisée par des fantasmes hétérosexuels masculins. On peut donc voir dans l'extraordinaire foisonnement du porno gay, plutôt qu'une forme de consumérisme, une politisation spécifique de la sexualité.
2013-03-01 - Têtu
Le cinéma pornographique est un objet rétif au regard sociologique. Moralement douteux, peu élevé dans la hiérarchie des biens de consommation culturels, il fait rarement l'objet de recher ches précises, ne serait-ce que sur le nombre de films ou leurs budgets. En dépit de ces obstacles, Mathieu Trachman a réalisé une enquête par entretiens et observations dans un monde aux frontières incertaines, mais où les différents protagonistes travail lent, gagnent de l'argent et font du profit. Ce simple constat n'a déjà rien de l'évidence. Il faut se rappeler en effet que, lorsqu'elle est inventée il y a près de deux siècles, la pornographie sert d'arme critique à l'encontre des pouvoirs officiels. Depuis, elle s'est transformée en activité marchande avec pour objectif principal la mise en scène de fantasmes hétérosexuels. La pornographie est plus précisément encore un travail au service des désirs masculins qui met en scène des corps féminins. L'auteur montre que l'on ne peut assimiler le travail pornographique ni à un rapport esclavagiste (dont les femmes seraient les victimes) ni à un moyen d'expression libertaire émancipateur. Sur un marché où se côtoient des professionnels et des amateurs, la distinction entre sexualité privée et sexualité professionnelle n'est pas toujours tranchée. Il existe par ailleurs une division du travail entre hommes et femmes, qui oppose très nettement les premiers aux secondes. Les hommes font davantage carrière dans la profession mais leur salaire est en général inférieur (entre 100 et 300 euros la scène, contre 150 à 600 pour les femmes). Plus rapidement affectées par l'usure du corps, menacées par la tendance à l'" accumulation des débutantes ", les actrices sortent plus rapidement de ce marché du travail où la maîtrise de son corps compte tout autant que sa plastique. Il fallait à la fois de l'audace et de la subtilité à un jeune sociologue pour explorer un univers si peu conventionnel. Armé de son identité affichée de gay, M. Trachman sait prendre la distance qui sied là où la norme est celle de l'hétérosexualité. Il éclaire ainsi le lecteur sur ce que, dans le monde de la pornographie, travailler veut dire.
2013-03-01 - Clément Lefranc - Sciences Humaines
Une approche éclairante de la pornographie comme milieu socio-professionnel et comme "monde de l'art", qui pose la question de la construction sociale de l'hétérosexualité.
2013-06-22 - Antoine GAUDIN - Non fiction
C'est toute la subtilité de l'ouvrage de Mathieu Trachman : à rebours des visions stéréotypées portées sur un tel milieu, celui-ci fait le pari d'en étudier les rapports de genre tout en se tenant éloigné des caricatures.[...] L'intérêt de l'ouvrage de Trachman est alors de montrer à quel point la pornographie, qui véhicule l'image d'une sexualité libérée, tente désespérément de s'accrocher à des normes qui ne font plus d'elle un milieu si tolérant qu'il n'y paraît. [...] un ouvrage passionnant, rigoureux et d'une richesse manifeste, démontant un à un les mécanismes, à la fois capitalistes et genrés qui sous-tendent la pornographie, sans jamais tomber dans une critique stéréotypée d'un milieu qui fait l'objet de nombreux et tenaces préjugés.
2015-06-01 - Claire Chabot - Terrains/Théories
Introduction : " Mettre en images les fantasmes des gens "
La pornographie comme travail
Des hétérosexuels professionnels
Enquêter sur la pornographie
I / Un capitalisme fantasmatique
1. La ghettoïsation des perversions
La construction d'une catégorie d'État
Le cinéma contre la pornographie - Le travail de catégorisation de la Commission - Les usages illégitimes des images pornographiques
Invisibiliser
La fin des interdictions totales - Contrôle et érotisation de l'espace public
L'opacification politique de la pornographie
L'enregistrement d'une forme pornographique stabilisée - La constitution de l'insignifiance pornographique - La fin de l'enregistrement
Conclusion
2. Le travail des fantasmes
L'incertitude sur le professionnalisme
Un petit monde dominé par une élite - Circuits marchands et circuits intimes - Valorisation de l'amateurisme - " N'importe qui peut prendre sa caméra... "
Le marché des fantasmes
La capture des désirs masculins - Script pornographique et érotisation des rapports sociaux - Des profits incertains
Profits sexuels
Scènes sexuelles et socialisation professionnelle - La maîtrise du corps sexuel
Conclusion
3. La mobilisation de l'intimité
Le contrat pornographique
De cascadeurs à artistes-interprètes - Pratiques contractuelles informelles et déresponsabilisation des pornographes
La performance de l'hétérosexualité
" Faire l'amour pour un objectif " - Mettre en scène la mise en scène - Travail pornographique et " plans privés "
Une intimité professionnelle
La famille du porno - La capture de la personne dans le rôle pornographique
Conclusion
II / Les contradictions de l'hétérosexualité
4. Puissance et impuissance des actrices
Dire le travail des acteurs et des actrices
" Je n'ai plus besoin du porno pour baiser ". Plaisirs masculins et usure au travail des acteurs - " Comédiennes ou perverses ? " - Indépendance sexuelle et professionnelle - L'injonction à assumer
Des plaisirs précaires
" Essayer de prendre du plaisir " - Les limites du contrat érotique
Devenir réalisatrice
Une présence mineure - L'acquisition féminine d'une expertise sexuelle - Aspirations professionnelles et contradiction sexuelle
Reconversion, image publique et contrôle de soi
Une reconversion féminine exceptionnelle - La fatigue d'être actrice - La gestion de l'expérience pornographique
Conclusion
5. L'accumulation des débutantes
Salaires pornographiques et valeurs de la sexualité
" Savoir ce que tu vaux " - Le corps et le nom - Le salaire des acteurs, entre performance et rétribution sexuelles - Le sexe de la gratuité
La production des débutantes
" Le nerf de la guerre " - Renouveler le matériel - La débutante et les pros
Avoir et faire jouir
L'échange des actrices - La capture des fantasmes féminins
Conclusion
6. Réitérer l'hétérosexualité
Lesbianisme obligatoire, homosexualité masculine interdite ?
Les significations d'une homosexualité féminine de travail - " Pas bi pour un sou "
Hommes entre eux. Carte officielle et pratiques de l'hétérosexualité masculine
Qu'est-ce qu'un fantasme hétérosexuel ? - Les coulisses de l'hétérosexualité masculine
L'érection de l'hétérosexualité masculine en compétence
Naturalisation et habilitation - Le " beau marché " de l'homosexualité masculine
Conclusion
Conclusion : Les incertitudes du désir
Travail sexuel, professionnalisation de la sexualité et sexualisation du travail
Donner corps à l'hétérosexualité
Les images du désir féminin
Annexe méthodologique
Remerciements.