Qu'ont à nous dire les sciences sociales sur la société ? Peuvent-elles nous aider à comprendre le monde, et à agir pour le changer ? Si l'on se donne la peine de regarder de près la production des chercheurs, au-delà des quelques grands intellectuels qui monopolisent l'attention des médias, la réponse à ces questions apparaît fort embarrassante. Car la majorité des spécialistes en sciences sociales semblent avoir renoncé à se saisir du politique : réfugiés derrière les murs de leur discipline ou de leur sous-discipline, ils ne savent plus interroger l'époque, ni répondre à l'exigence démocratique qui sourd de partout. Ce sont les formes et les causes de cette " démission des clercs " qu'explore avec rigueur Alain Caillé dans cet essai roboratif. À partir d'une critique remarquablement argumentée de théories dominantes de la sociologie, de l'économie et de la philosophie politique, il montre comment l'oubli du politique s'inscrit au cœur même de ces théories. Ainsi de l'utilitarisme et de l'individualisme méthodologique, qui ne permettent pas de reconnaître la dimension plurielle et collective de l'action sociale. Mais ce livre, n'est pas qu'un état des lieux critique de la recherche et des idées contemporaines. Il pose les bases d'un programme de travail pour les sciences sociales : sans rien céder sur les exigences d'un savoir rigoureux, elles doivent inventer de nouvelles formes de citoyenneté qui soient universalisables, et en même temps capables de reconnaître les singularités historiques et culturelles dans lesquels les hommes puisent leurs raisons de vivre et d'espérer.
Alain Caillé, professeur émérite de sociologie à l'université Paris-Ouest-La Défense, est le fondateur et directeur de La Revue du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales). Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont, à la Découverte, La Quête de reconnaissance. Nouveau phénomène social total (2006), Anthropologie du don. Le tiers paradigme (Poche, 2007), ou encore Théorie anti-utilitariste de l'action (2009) ; et, aux éditions Le Bord de l'eau, Pour un manifeste du convivialisme (2011).
Introduction. Les sciences sociales et l'oubli du politique - Comment les sciences sociales divorcent d'avec le siècle - L'oubli du politique en économie - En sociologie et ailleurs - En philosophie politique - Fin de l'histoire ou déni du politique - De quelques raisons de la stérilité politique des sciences sociales - Le dérèglement institutionnel - Pour une séparation du savoir et de l'État (et du marché) - Du caractère politique des sciences sociales jusqu'à il y a peu - Première date de naissance: cinq siècles avant J.-C. en Grèce - Deuxième date : l'ère classique - Troisième date: le tournant du XIXe siècle - Quatrième date: le tournant du XXe siècle - Cinquième date: aujourd'hui même - Sur ce livre - I. Critique des sciences sociales depolitisées - 1. Plaidoyer pour une science sociale qui serait une philosophie politique, et réciproquement - L'état actuel des sciences sociales - L'Aufhebung de l'axiomatique de l'intérêt - Le foisonnement des possibles - Crispations disciplinaires et dissolutions identitaires - Explosion et implosion - De quelques exigences minimales de la connaissance dans les sciences humaines - Que faire? - Une réforme réactionnaire? - Pour une discipline synthétique adisciplinaire - 2. L'épuisement de l'économie politique - Le syncrétisme - Indécidabilité théorique et pragmatisme économétrique - 3. Une sociologie sans objet - Questions et réponses - Objections - Les risques - Pour la sociologie - Reprise: un destin si funeste, la sociologie - Une discipline - Splendeur...et décadence - Et renaissance? - 4. Le principe de raison, l'utilitarisme et l'anti-utilitarisme - Utilitarisme et modernité - Les trois registres de l'utilitarisme - L'utilitarisme pratique et l'utilitarisme théorique - L'utilitarisme philosophique ou normatif - La place de l'utilitarisme normatif dans laphilosophie morale et politique - L'antinomie de la raison utilitaire normative - Un autre paradigme possible: le don - II. Jalons d'une repolitisation des sciences sociales - 5. Au-delà de l'individualisme méthodologique, même complexe - Un individualisme méthodologique complexe - Contre l'individualisme méthodologique simple - Totalité, complexité et autotranscendance (boot-strapping) - L'auto-émergence des conventions - Des individus complexes - Encore un effort pour complexifier la complexité - Un individu insuffisamment complexe - Relativiser l'arbitraire des conventions - Traquer tout réductionnisme - Au-delà de l'individualisme même complexe - Conclusion - 6. Plaidoyer pour un holisme subjectiviste : sujets individuels et sujets collectifs - Les tensions paradigmatiques dans le champ des sciences sociales; holisme et individualisme - Les oppositions centrales - Critique de l'individualisme méthodologique : un bref rappel - Les démarches non individualistes et/ou holistes - La métaphore du sujet collectif " rationnel " - Existence ou inexistence des choix collectifs - Les termes du choix - Les critères du choix; qui choisit ? - Conclusion - 1. Plaidoyer pour un universalisme relativiste. Au delà du rationalisme et du relativisme - Séduction et fragilité du rationalisme - Difficultés du relativisme classique - Difficultés factuelles et pragmatiques - Difficulté logiques et théoriques - Les limites de l'universalisme rationaliste standard - Le réductionnisme cognitiviste et économiciste - Apories du rationalisme - Conclusion - Première reflexion - Seconde reflexion - 8. Pensée des ordres, pensée du contexte et pensée du politique - Séparation ou enchevêtrement des ordres? - La pensée de l'indépendance des ordres - Thèse 1.1 : les ordres sont disjoints - Thèse 1.2 : il est bon que les ordres soient disjoints - La pensée de la contextualité des ordres -Thèse 2.1 : il n'est pas souhaitable que les ordres soient disjoints - Thèse 2.2 : les ordres de la pratique ne sont pas disjoints - Quels contextes? - L'insertion de l'économique dans le méta-économique - L'insertion de l'économique dans le politique - L'économique est inséré dans la culture - L'économique est encastré dans la socialité primaire - L'indétermination des imbrications - Complications et abstractions ; l'indétermination relative des ordres et des contextes - Insuffisance de la pensée des ordres - Carl Schmitt - Le structuralo-fonctionnalisme - Karl Polanyi - Insuffisances dse pensées du contexte - Causes finales et causes efficientes - Le flou du concept d'embeddedness - L'ordre ou le désordre des ordres - Conclusion - Esquisse d'une synthèse - Il existe des ordres - Il existe des contextes et des chevauchements ordonnés des ordres - Il existe des contextes non-ordonnés des ordres (la primarité) - Il existe des contextes non ordonnés des contextes (le politique) - Conclusion. Politique, sciences sociales et démocratie - Le politique et la politique - Les amis, les ennemis, la paix et la guerre - La démocratie et la question de l'arbitraire relatif - Pour un renouveau des sciences sociales - Pour une complexification des concepts centraux des sciences sociales - Index - Table