La mondialisation libère les uns et oppresse les autres. Et dans cette partition du monde, chacun est renvoyé à une identité prétendument essentielle et " vraie ". D'où un véritable " piège identitaire ", négation de l'autre et de sa subjectivité, parfois justifié par l'anthropologie – à l'opposé de sa vocation humaniste et critique. Face à ce défi, le regard contemporain sur le monde doit être repensé, en dépassant le relativisme culturel et ses " ontologies " identitaires.
Dans ce livre, Michel Agier prend une position résolument " décentrée ", invitant le lecteur à reconsidérer les sens et les usages de la frontière : lieu de passage, instable et sans cesse négociée, elle nous fait humains en instituant la place et l'existence sociale de chacun tout en reconnaissant celles des autres. Le mur est son contraire : il incarne le piège identitaire contre l'altérité.
Cette enquête sur l'état du monde et sa violence, sur les frontières et les murs, sur le sens des mots (" identité ", " civilisation ", " race ", " culture ") propose ainsi une réflexion originale sur la condition cosmopolite, figure à double face : d'un côté, l'étranger absolu, global et anonyme, que dessinent les politiques identitaires sous des traits effrayants ; de l'autre, le sujet-autre, celui qui venant de l'extérieur de " mon identité ", m'oblige à penser tout à la fois au monde, à moi et aux autres. En plaidant pour la validité de l'approche anthropologique, Michel Agier cherche ici à dépasser le piège identitaire, à montrer que d'autres manières de penser sont possibles. Réapprendre à passer les frontières où se trouve l'autre, à les reconnaître et à les fréquenter, est devenu l'un des enjeux majeurs de notre temps.
En 1831, Alexis de Tocqueville se rend jusqu'au village de Saginaw baptisé par les Américains la "frontier". Dans son journal de voyage, il décrit cette "forêt dense faiblement peuplée d'émigrants, de pionniers, de rares Indiens et de métis". Autrement dit: des groupes aux identités déstabilisées par cet abîme d'incertitude, d'ignorance et d'inquiétude. Sur les pas de Tocqueville, l'anthropologue Michel Agier a lui aussi choisi d'explorer des "situations de frontière": camps de réfugiés, ghettos, mais aussi espaces sacrés... Par-delà sa définition administrative, cette limite, qui est aussi passage, est ici entendue comme le lieu d'une relation avec un autre. En cela, elle est le sujet qui devrait fonder au premier chef une anthropologie contemporaine. Les frontières n'ont rien de semblable, dit l'auteur, avec ces murs qui prolifèrent, dressés entre les Etats-Unis et le Mexique, en Cisjordanie, dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla jouxtant le Maroc... Comme pour conjurer la mondialisation tout en flux et en mobilité. Au fil de récits enchâssés, cet ouvrage bouscule la croyance en une identité figée. Une fois dissipée la figure de l'étranger absolu s'y dessine celle d'un sujet-autre: cosmopolite.
2013-03-01 - Marion Rousset - Philosophie magazine
La "condition cosmopolite" est chaque jour plus partagée. Soulignant la modernité de l'"homme-frontière", l'auteur propose des outils conceptuels pour repenser l'altérité, échapper au piège identitaire, et dégager les pistes d'une anthropologie sensible aux situations.
2013-03-29 - Julie Clarini - Le Monde des Livres
Michel Agier nous invite à une anthropologie ni nouvelle, ni neuve, mais renouvelée. Elle n'est pas nouvelle, parce qu'elle reste ici, dans ce livre, une discipline scientifique qui entend assumer son passé et son héritage intellectuel. Le parcours de l'anthropologie l'a en effet conduite d'un ethnocentrisme inconscient à la conscience des cultures avec laquelle elle s'est évertuée à dépasser l'universalisme étriqué de ses pionniers. Elle n'est pas non plus neuve, parce que l'anthropologie d'Agier ne prétend pas s'inscrire dans la continuité de ce mouvement autocritique, mais elle cherche à " repenser " la science anthropologique elle-même. L'ouvrage n'entend pas en effet poursuivre ce long et fastidieux périple ayant abouti à l'impasse du relativisme culturel, mais il défend une position paradoxale, celle d'un " décentrement anthropologique ", tout à la fois à la lisière et au cœur du monde d'aujourd'hui.
2013-04-01 - Rachid Id Yassine - Liens socio
Depuis une bonne dizaine d'années, les recherches de Michel Agier élaborent une anthropologie des déplacements et des nouvelles logiques urbaines, sans lâcher pour autant son intérêt pour la question des identités au regard des mobilités sociales. La condition cosmopolite offre une remarquable réflexion sur l'anthropologie qui permettrait de comprendre le monde qui nous entoure. Une première partie cherche une intelligence de l'état du monde et de la question des frontières. C'est un monde de translocalité généralisée, où cependant les murs ne cessent de se multiplier ; il nous faut réapprendre à observer la frontière où se trouve l'autre. Car la frontière est de fait la condition de notre être-au-monde et de la reconnaissance réciproque ; en niant l'épaisseur spatiale et temporelle de la frontière, le mur symbolise tout autant la manière dont l'obsession identitaire nie l'accès à l'altérité nécessaire à la relation. La seconde partie travaille la question du piège identitaire, dénonçant ses erreurs, pour tenter de mieux définir des politiques et des moments propices à l'émergence du sujet. Entre ces deux parties, un chapitre charnière reprend la pratique et les théorisations de l'anthropologie contemporaine, et propose de repenser le décentrement, culturel, épistémologique, politique qui caractérise la discipline. Le monde où se confrontent singularités et inégalités appelle une approche situationnelle, précisément à propos de ces situations de frontière marquées par une liminarité sociale ou rituelle qui bouscule l'ordre identitaire selon une altérité essentielle.
2013-09-01 - Jean-Marie Carrière - Etudes
Introduction. Sortir du piège identitaire
La condition cosmopolite : modernité de l'" homme-frontière "
Patras, 2009 : un concentré de l'état du monde
Des Afghans bloqués à la frontière
Indifférence et solidarités
Frontières et murs
I / La question des frontières et le nouvel état du monde
1. Les formes élémentaires de la frontière
Le mur, négation de la frontière
Les dimensions temporelles, sociales et spatiales du rite de la frontière
Communauté et localité : la frontière comme fait social
L'espace sacré à Salvador de Bahia - Symbolique de la frontière : de la maison des initiés à la société baruya (Nouvelle-Guinée)
Une anthropologie de/dans la frontière
Délimiter, faire exister : frontière et identité - L'histoire des identités : une succession de migrations et d'accommodements - Des lieux incertains : Tocqueville et les Indiens - Le temps intervalle : carnavals et décélération
Situations de frontière et liminarité
2. Le monde comme problème
Le monde est-il un problème ?
Réalité cosmopolitique et realpolitik
Mondialisation économique et affaiblissement des États-nations - Les cinq " paysages globaux " d'Arjun Appadurai - Extension et frontières des nouveaux réseaux sociaux
Violences à la frontière : l'en dehors de la nation
La " police des frontières ", ce qui reste des États-nations du Nord - Au Sud, les fragiles frontières de la nation en Afrique - L'" identité nationale autochtone ", monstre anthropologique - L'espace de l'action humanitaire, ou la délocalisation partielle de la souveraineté politique
Les murs de la guerre 6
Guerre coloniale, guerre aux migrants - Questions sur le " désir de murs "
3. La condition cosmopolite aujourd'hui
L'homme-frontière : figures de la relative étrangeté
L'errance comme aventure - Devenir paria - Quatre métèques - L'étranger dans son labyrinthe
Être dans le monde : questions sur la condition cosmopolite
4. Question de méthode : quelle anthropologie pour comprendre le monde qui nous entoure ?
Un moment critique : le tournant contemporain de l'anthropologie
La fin du " grand partage "
Repenser le décentrement
Décentrement culturel - Décentrement épistémologique - Décentrement politique
Une anthropologie contemporaine et situationnelle
En finir avec l'" usage schizogénique du temps " - Le passage à l'approche situationnelle
II / Du piège identitaire à la politique du sujet
5. La question de l'identité à l'heure de la mondialisation
Les trois erreurs du piège identitaire
Faut-il croire à l'essentialisme ?
6. Civilisation, race, culture : trois explorations conceptuelles
Les usages de la civilisation : miroirs d'Afrique
Années 1950 : " Une civilisation accuse l'autre ! " - Années 1980 et 1990 : déconstructions, réinventions -Une présence africaine globale et diffuse
La migration des esprits : mobilités et cultures identitaires
Le diable, le curé et la culture noire (Pacifique colombien) - La Tunda, monstre urbain (Charco Azul, Cali) - Frontières et temps des cultures identitaires
Race et racisme : comment peut-on être noir ?
République et pensée raciale en France - Brésil : de " démocratie raciale " à " nation multiculturelle " - La citoyenneté sans identité
7. Logiques et politiques du sujet
Une anthropologie du sujet
De la personne à l'individu : ethnologie et sociologie - De la subjectivation aux sujets : anthropologie et philosophie - Le sujet en situation : propositions ethnographiques
Trois analyses situationnelles
Le sujet rituel, ou le sujet comme dédoublement de soi et du monde - Le sujet esthétique, ou le souci de soi et le sujet comme auteur - Le sujet politique, ou le sujet comme demande de citoyenneté
Moments et politiques du sujet-autre
Conclusion. Pour une anthropologie de la condition cosmopolite.