Dans le débat public, les diagnostics alarmistes sur la " crise de l'État-providence ", et les procès contre l'État-redistributeur, ont laissé place à toujours plus d'injonctions à " réformer l'État ". Cet impératif est devenu le point de ralliement d'élites politiques (de droite comme de gauche), de hauts fonctionnaires nationaux et internationaux, mais aussi des intellectuels les plus en vue, de journalistes, voire de certains syndicalistes.
Que recouvre cette " réforme de l'État " ? Comment a-t-elle été mise en œuvre depuis vingt ans ? Quelles conséquences pour le service public et les usagers ? Ce livre s'efforce de répondre à ces questions en faisant dialoguer des chercheurs, des fonctionnaires et des syndicalistes. L'échange d'analyses et d'expériences permet de dessiner les lignes de force de ce mouvement, tout en restant attentif aux singularités observables.
Ce travail intellectuel et collectif est nécessaire pour comprendre une révolution silencieuse.
Car, si les réformes néolibérales de l'État s'effectuent parfois à grand renfort de publicité (privatisation de La Poste, restrictions des budgets de l'hôpital public ou de l'Éducation nationale), elles sont le plus souvent invisibles, et ne rencontrent que des protestations sectorielles, peu coordonnées, encore moins médiatisées. Elles passent par tel décret, telle directive, telle circulaire, voués à demeurer obscurs et confidentiels, dans certains cas élaborés par des cabinets d'audit privés... La plupart, et parmi les plus structurelles, passent inaperçues, sauf pour ceux qui en affrontent directement les conséquences...
Au terme de ce voyage dans la " réforme de l'État " et ses effets, c'est l'avenir des services publics, de nos services publics, qui est en jeu. C'est-à-dire celui d'un modèle de société.
Laurent Bonelli est maître de conférences en science politique à l'université Paris-X (Nanterre) . Il a co-dirigé l'ouvrage La Machine à punir. Pratiques et discours sécuritaires (L'Esprit frappeur, Paris, 2001) et publié, à La Découverte, La France a peur (2008). Il est par ailleurs membre de la rédaction du Monde diplomatique.
2010-10-06 - Guillaume Arnould - Liens socio
" Les dernières décennies n'ont pas été marquées par un retrait pur et simple de l'Etat, contrairement à une idée trop souvent entendue, mais plutôt par son redéploiement. Les partisans du néolibéralisme ont en effet, de longue date, compris que le marché avait besoin de s'adosser à l'Etat. Mais à un Etat tout entier converti à la logique gestionnaire, au détriment des logiques de service public. C'est cette "révolution silencieuse" que dépeint la vingtaine de contributions rassemblées dans cet ouvrage. Elles reviennent sur la configuration des promoteurs d'un Etat "modeste", sur les principes du "nouveau management public" et ses applications sectorielles - notamment dans l'accompagnement des chômeurs et l'éducation -, les privatisations, les transferts de compétences et les réductions d'effectifs dans la fonction publique. Si tous les articles ne sont pas d'égale facture, ils n'en ont pas moins le grand mérite de restituer la cohérence des (contre) réformes initiées tous azimuts par les gouvernements successifs. Un ouvrage qu'il est indispensable de verser au débat public. "
ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES
" Ces enquêtes rassemblées ne se contentent pas de ressasser les poncifs éculés contre le néo-libéralisme. Avec une incursion chez nos voisins d'Outre-Manche, sont examinés les déplace ments réglementaires passés inaperçus aux yeux du public, et qui traduisent l'érosion de la conception rousseauiste de l'intérêt général qui dominait encore la (haute) fonction publique voici une trentaine d'années. De l'Education nationale à la Défense, de La Poste aux Télécommunications, de la Police à l'Hôpital, des ministères aux agences locales, les nouvelles réglementations conduisent subrepticement du Service public au service du public, de l'usager au client, du Statut à la responsabilité comptable. Manifestement, un " modèle de société " est en jeu. Reste à en cher cher la cause, ce que les auteurs, uni versitaires, chercheurs, syndicalistes, ne font pas ; ils n'ont pas vu que nous assistons à la fin d'une ère où l'autorité des clercs était incontestée. La concep tion jacobine de l'Etat se meurt : désor mais les parents attendent de l'Edu-cation nationale qu'elle rende service à leur enfant singulier ; et ils se compor tent comme si elle était un prestataire de service, à l'instar d'un supermarché ou d'un fournisseur d'automobile, et cela au plus juste prix. La solution n'est pas la crispation sur une concep tion idéaliste de l'Etat et d'un intérêt général qui semble de plus en plus abs trait, mais sur l'implication des " usa gers " dans la gestion des services publics. "
ÉTUDES
2024-10-30 - PRESSE
Avant-propos, par Serge Halimi
Introduction. Les " mille " démantèlements de l'État, par Laurent Bonelli et Willy Pelletier
Compressions du périmètre de l'État
Caporalisations de l'action publique
La fin d'un modèle ?
Défendre la civilisation
I / Promoteurs et promotions de l'État modeste
1. Les rénovateurs du libéralisme, par François Denord
Les origines du néolibéralisme - Un mouvement international - 1 À la conquête de l'État en France - La dynamique européenne
2. La formation des élites d'État et l'avènement d'une nouvelle " classe rapace ", par Alain Garrigou
Les quatre âges de la noblesse d'État - Le modèle des business schools - L'ethos managérial
3. La réussite du thème de la " crise de l'État " ou l'impérialisme de la compétence, par Blaise Magnin
Construire l'État avant de le mettre en problème - Le retournement du " sens de l'État " : logiques sociales d'une restauration conservatrice - La force sociale d'un groupe ubiquitaire
4. L'expansion du journalisme économique et la critique de l'État, par Philippe Riutort
Se défaire d'une mauvaise réputation - Renouer avec le marché
5. Comment l'Union européenne ruine le contrôle public de l'économie, par Antoine Schwartz
La construction d'une Europe néolibérale - Un basculement progressif - Une reconfiguration des modes d'action publique - La concurrence comme vertu cardinale
II / Le nouveau management public
6. La naissance du New Public Management en Grande-Bretagne et sa reformulation par les néotravaillistes, par Jérôme Tournadre-Plancq
7. Workfare et culture gestionnaire : la refonte du service public de l'emploi en Grande-Bretagne, par Corinne Nativel
Workfare, clientélisation des chômeurs et nouvelles contraintes - Les " rationalisations modernisatrices " du service public de l'emploi - Une refonte managériale - Les résultats de la " culture du résultat "
8. Les modernisations contradictoires de la police nationale, par Laurent Bonelli
Les quatre configurations de réforme - La police à l'épreuve du nouveau management public
9. L'hôpital malade de la rentabilité, par André Grimaldi
Les deux maladies de l'hôpital public - La fabrique du consensus - L'enjeu de la réforme néolibérale
10. Vers une justice managériale ?, par Gilles Sainati
Une désorganisation de la justice et de ses principes fondamentaux. Une justice éxécutive.
11. L'enseignement supérieur autonomisé ou atomisé ?, par Frédéric Neyrat
L'autonomie, maître mot des réformateurs - L'autonomie, piètre mot pour les " autonomisés " - L'autonomie, traître mot des libéraux
III / Réorganisations de l'État
12. L'invention de Pôle emploi, par Willy Pelletier
Anciens équilibres et formation de l'Unedic - Élites d'hier et reproductions du paritarisme - Nouvelles élites, réorganisations de leurs relations, Pôle Emploi
13. L'Éducation nationale dans la tourmente des réformes politiques, par Axel Trani
Quelles appréciations du système éducatif français ? - Dégraisser le mammouth - Revoir les contenus -Réformer la carte scolaire
14. L'" efficacité " de l'École comme enjeu politique et pédagogique, par Sandrine Garcia
Le culte de l'efficacité : un trompe-l'œil - L'externalisation de la lutte contre l'échec scolaire et la médicalisation des troubles d'apprentissage - Des critiques ambiguës de l'action gouvernementale
15. La réforme des services déconcentrés de l'État. L'exemple de l'Inspection du travail, par Jean-Christian Billard
Des services en pleine restructuration - Faut-il une " politique du travail " ? - Un droit du travail en dilution accélérée
16. Comment l'État se débarrasse en secret de ses fonctionnaires. L'exemple du ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Pêche, par Ogun Ar Goff
Comment se débarrasser des indésirables ? - Injonctions paradoxales et atteintes à l'estime de soi
17. Les collectivités locales et la réforme de l'État : le point de vue des élus territoriaux, par Gilles Garnier et Francine Bavay
Gilles Garnier : déconcentration des compétences et centralisation de l'autorité - Francine Bavay : une décentralisation en trompe l'œil
IV / Paupérisation de l'État et privatisation : des usagers aux clients
18. La privatisation des chemins de fer sur les rails de l'exemple allemand, par Olivier Cyran
" Aucun mouvement d'idées ne réclame la privatisation " - La S-Bahn en panne - Connivences et récompenses
19. Les privatisations de France Telecom, entretien avec Willy Pelletier
20. Privatisation réalisée et privatisation en cours : des télécommunications à La Poste, par Hélène Adam
La concurrence détruit des emplois - L'enterrement du service public - Mécanismes de la privatisation de La poste
21. Les externalisations du ministère de la Défense, par Edouard Sill
Des conséquences " inattendues " de la professionnalisation ? - Management financier en treillis -Des bénéfices, mais pour qui ? - Les frontières floues de la " civilianisation " des armées
22. La culture à l'encan. Politique culturelle et culture du résultat, par Sabine Rozier
La culture, vecteur d'émancipation - La culture, instrument de la compétitivité nationale - Un populisme de marché - Un nouveau partage des rôles - Les " pugilats public/privé " - Des mécènes peu prodigues
23. Modernisation, organisations du travail et souffrances dans la fonction publique, entretien avec Nathalie Robatel
Conclusion. Le nouveau désordre collectif : marché, liberté, autorité, par Bernard Lacroix
Chronologie. Moderniser l'État, une chronologie (1967-2009), par Nathalie Robatel.