Aux XVIIIe et XIXe siècles, un étrange fléau affole les colons des Antilles françaises : le " poison ". Ce terme est souvent associé – voire assimilé – à celui de " maléfices ", les " empoisonneurs " étant d'ailleurs fréquemment dénoncés comme " sorciers ". Les imputations de crime d'empoisonnement participent d'un système de croyances magiques qui amène les maîtres à prêter aux nègres une extraordinaire force de nuisance fondée sur une science botanique occulte associée à d'effrayants pouvoirs.
L'effroi qui saisit les colons engendre la terreur contre les esclaves : terreur illégale exercée à titre privé par les maîtres mais aussi terreur légalisée par la création de juridictions spéciales puis par l'instauration d'un impitoyable dispositif administratif de répression.
Dans ce livre bouleversant, l'auteure trace avec précision la généalogie de cette grande peur et en reconstitue la logique sociale en s'appuyant sur des récits et des documents souvent totalement inédits. La violence esclavagiste mise en lumière par l'analyse du crime d'empoisonnement est tout autant la violence ordinaire (privations quotidiennes, travail effectué sous le fouet, châtiments corporels banalisés) que celle qui prend les formes les plus cruelles pour signifier aux esclaves que leur sort est entre les mains du seul maître, qu'aucun autre pouvoir (politique, judiciaire ou religieux) ne peut leur venir en aide.
Caroline Oudin-Bastide est docteure en histoire et civilisations de l'EHESS. Outre les sources imprimées, elle a exploité les documents judiciaires et administratifs entreposés au Centre des Archives d'Outre-mer (Aix-en-Provence) et aux Archives départementales de la Guadeloupe et de la Martinique. Elle est l'auteure de Travail, capitalisme et société esclavagiste (La Découverte, 2005).
Caroline Oudin-Bastide vient de publier L'effroi et la terreur: Esclavage, poison et sorcellerie aux Antilles. Docteure en histoire et civilisations à l'EHESS, elle a exploité les documents judiciaires et administratifs entreposés au Centre d'archives d'Outre-mer et aux Archives départementales de la Guadeloupe et de la Martinique pour analyser au cours des XVIII° et XIX° siècle, le thème du "poison". Dans ce livre bouleversant, l'auteure trace avec précision la généalogie de cette grande peur et en reconstitue la logique sociale en s'appuyant sur des récits et des documents souvent totalement inédits.
2013-03-01 - France Antilles
Pourquoi le poison fait-il des ravages en Martinique et en Guadeloupe, aux XVIII° et XIX° siècles ? Si l'on en croit les chiffres de l'époque, hommes et bêtes meurent en masse. Et, malgré les procès et les exécutions de supposés sorciers, le fléau s'intensifie, atteignant des proportions inconnues dans les îles anglaises ou espagnoles. Historienne des Caraïbes, Caroline Oudin-Bastide a mené l'enquête et découvert un drôle de bouillon de culture. Alors que, en Europe, la sorcellerie s'explique par un pacte avec le diable, sur les îles, c'est la dimension magique, rituelle et médicinale de la sorcellerie africaine qui s'impose, y compris chez les planteurs, qui n'hésitent pas à se munir de grigris et de potions pour se protéger du mauvais sort. La gestion du phénomène, elle, semble un héritage direct de l'Ancien Régime, avec une confusion des pouvoirs juridiques et politiques entre les mains des seuls maîtres. S' y ajoute l'aspect économique: beaucoup d'accusés sont des vieillards "non rentables". Or les maîtres sont indemnisés quand ils exécutent un esclave pour sorcellerie. Enfin, les crimes d'empoisonnement se révèlent fort utiles pour masquer la malnutrition et les mauvais traitements qui tuent aussi sûrement que le poison... Cette enquête passionnante montre une nouvelle fois que cynisme et superstition vont souvent de pair.
2013-09-01 - Anthony Mangeon - Le Point Références
Introduction
Prologue : Un double héritage sorcellaire
En Europe : des croyances populaires à la démonologie
En Afrique : hétérogénéité et constantes des systèmes de croyances
1. Poisons et maléfices
Des mots pour le dire
Aux Îles du vent : un amalgame persistant
Les cibles : des bestiaux au maître
2. La justice contre l'" infernal fléau "
Formes et métamorphoses de la justice publique
Prouver
Punir
3. Le maître : juge naturel de l'esclave ? Petits arrangements avec le droit
La justice du maître
L'expulsion : mesure de haute police... À la demande du maître
Pouvoir privé/pouvoirs publics : des relations troubles
4. Les sorciers (empoisonneurs)
Les lieux communs du discours esclavagiste
Décisions judiciaires et administratives au regard du discours colonial
Les non-dits du discours colonial
5. Des croyances communes ?
De l'empire de la magie aux Îles du Vent
L'acculturation au prisme du crime d'empoisonnement
Ceux qui se démarquent des croyances établies
6. Les mobiles du crime
Détruire ou borner le pouvoir dominical
Des cibles individualisées
Approches réformiste et abolitionniste
7. L'effroi en partage
Résistance ?
Les deux faces de la peur
Irresponsabilité et déculpabilisation
Un mécanisme d'autorégulation de la masse servile ?
Guadeloupe, Martinique : l'ampleur différente du phénomène
Conclusion
Remerciements
Notes