La formation tout au long de la vie est devenue un mot d'ordre mobilisateur de la politique économique et sociale européenne. En France, elle fait l'objet d'une loi qui la consacre comme un droit individuel des salariés. Elle est présentée comme une conquête sociale et un bien universel, dont seuls l'accès et les modes de réalisation feraient problème. Cet ouvrage s'attache à déconstruire ce mythe. À partir de perspectives historiques, juridiques et sociologiques, ses auteurs montrent comment elle fut promue, dès les années 1950, par des élites réformatrices œuvrant dans différents lieux de la société, comme un instrument de modernisation de la France pour accroître la productivité, pacifier les relations de travail au sein des entreprises, et favoriser l'intégration politique. Conçue à l'origine comme une obligation nationale relevant de l'autorité de l'État, la formation professionnelle continue est progressivement entrée dans le champ des relations professionnelles et a transformé les syndicats en " partenaires sociaux ". Initiative de cadres, elle n'a pas rencontré l'adhésion immédiate des salariés, ni celle de leurs organisations syndicales. Elle s'est imposée au terme d'un long travail de persuasion. Les représentations dont la formation continue est l'objet ont occulté la pérennité de faits inhérents à sa construction originelle : elle n'est pas la voie de la " seconde chance ", susceptible de réparer les inégalités scolaires, ni celle de la " promotion sociale ". Initialement pensée par Jacques Delors comme la " clef de voûte d'une politique contractuelle ", parce qu'elle était " un domaine de convergence possible entre le patronat et les syndicats ", la formation tout au long de la vie est aujourd'hui associée à l'institutionnalisation du " dialogue social " dans la loi de 2004, laissant voir la continuité des réformes impulsées trois décennies plus tôt.
Guy Brucy est historien, professeur en sciences de l'éducation, laboratoire CURAPP (CNRS-université Jules-Verne, Amiens).
Pascal Caillaud est chargé de recherche CNRS, juriste, laboratoire Droit et changement social, Maison des sciences de l'homme Ange-Guépin de Nantes.
Emmanuel Quenson est sociologue, maître de conférences, université d'Evry-Val-d'Essonne, Centre Pierre-Naville.
Lucie Tanguy, sociologue, est directrice de recherche émérite au CNRS, laboratoire Genre Travail et Mobilités (CNRS-université Paris-X-Nanterre).
" Produit de la collaboration entre un juriste, un historien et deux sociologues, cet ouvrage interroge le destin d'un projet - la formation tout au long de la vie - dont les racines datent des années 1950. Aujourd'hui, un droit individuel pour tous les salariés, la formation permanente est volontiers présentée comme un instrument de la seconde chance, comme un acquis majeur au service de la promotion sociale. Après avoir été l'affaire de l'État, la formation professionnelle continue est devenue celle des syndicats et des organisations d'employeurs. De la loi Delors de 1971 jusqu'à la toute récente loi de mai 2004 sur le dialogue social, la formation professionnelle continue s'est effectivement imposée au rang de pièce majeure au service de la politique contractuelle. En rester, comme souvent, à ces simples constats est cependant aller un peu vite en besogne. Ainsi que le montrent en détail les auteurs de l'ouvrage, c'est oublier en effet que la formation tout au long de la vie a d'abord été une réponse à un ensemble de défis propres à la période d'après-guerre. Il s'agissait alors d'inventer des moyens de favoriser l'intégration politique, de reconstruire l'économie à l'aide d'une main d'oeuvre qualifiée et productive et, enfin, d'apaiser un monde ouvrier toujours tenté par les grèves insurrectionnelles. Loin d'être le produit d'un dessein généreux qui assigne à la formation le statut de bien universel, le développement de la formation permanente doit être donc compris avant tout comme la résultante de l'action d'une élite réformatrice aux intérêts bien spécifiques. "
SCIENCES HUMAINES
" La "formation professionnelle tout au long de la vie" est représentée comme une conquête sociale. Quatre chercheurs du CNRS montrent à partir d'éléments historiques, juridiques et sociologiques comment elle a été utilisée dans les années 1950 comme un instrument de modernisation pour accroître la productivité, pacifier les relations sociales dans l'entreprise et favoriser l'intégration politique contractuelle, la formation redevient un instrument du dialogue social. "
INFFO FLASH
2024-12-03 - PRESSE
Introduction, par Guy Brucy
Modernisation et injonction productiviste
La mise en scène politique de la formation
Mobilité professionnelle et promotion sociale
Moderniser avec et contre l'école
Références bibliographiques
1. La fabrication d'un bien universel, par Lucie Tanguy
Des conditions économiques et politiques favorables (1950-1960)
L'oeuvre d'élites réformatrices
Des institutions de médiation
Des directeurs du personnel de grandes entreprises
Des experts de la planification
Une génération
La mise en place d'outils et de dispositifs pédagogiques pérennes
Définir la formation en termes de compétences
Mettre en relation la formation avec l'emploi
Inventer et diffuser une doctrine pédagogique
De l'éducation à la formation, des réformes transversales à la société
Autres mots, autres politiques
Compétences et certifications
Une offre de formation individualisée
Renversement et refonte ?
Références bibliographiques
2. Entre autonomie et intégration, la formation syndicale à l'université (1955-1980), par Lucie Tanguy
Associer les syndicats à la modernisation de la France (1950)
La création des instituts du travail
Un train de réformes sociales du travail
Un mouvement pour une démocratie politique et sociale
Des universitaires missionnaires de la cause syndicale
Des universitaires atypiques
Des directeurs influents
Un recrutement fondé sur la militance
Des ouvriers reconnaissants mais sans révérence
Une pédagogie hybride relevant d'une double autorité
La pédagogie n'est pas neutre
Une activité collective
Instituts du travail et écoles syndicales, des rapports ambivalents
Conclusion
Références bibliographiques
3. La formation au travail : une affaire de cadres (1945-1970), par Guy Brucy
Définir la formation des militants : un combat sémantique et politique
CFTC et CGT-FO : former des militants pour négocier
CGT : former des combattants de la lutte des classes
Les syndicats face aux promoteurs de la formation en entreprise
Perfectionnement volontaire et promotion ouvrière
Des divergences majeures : la productivité et le modèle américain
Promotion ouvrière et compromis social-démocrate : le projet de la CGT-FO
Le tournant des années 1960 : les cadres prennent l'initiative
La formation des cadres : un enjeu décisif pour les multinationales
La nouvelle donne syndicale
Les cadres, précurseurs de la loi de 1971
Conclusion
Références bibliographiques
4. Informer pour faire adhérer (1971-1976), par Emmanuel Quenson
D'une campagne pour la productivité à l'information économique
Un objet de controverses
Des prosélytes de la communication
Convertir les salariés à la formation
Un dispositif de propagande
Animer par un réseau
Un " antagonisme limité " entre les syndicats
Le Centre INFFO : un lieu d'expertise
Des actions dirigées vers les chômeurs
De l'expérimentation à l'institutionnalisation
Conclusion
Références bibliographiques
5. La construction d'un droit de la formation professionnelle des adultes (1959-2004), par Pascal Caillaud
Les fluctuations des premiers textes (1959-1971)
Des notions aux contours juridiques incertains
De la coordination étatique à la politique contractuelle
Un système juridique fondé sur le droit du travail (1971-2004)
Quel statut pour la personne en formation ?
Négocier et représenter : la compétence des organisations de salariés et d'employeurs
Entre morcellisation et individualisation du droit de la formation
" La formation professionnelle tout au long de la vie " : quelle signification juridique ?
De la branche professionnelle à la région
L'individualisation de l'accès à la formation
Conclusion
Références bibliographiques
6. Un passé impensé : l'action de l'Éducation nationale (1920-1970), par Guy Brucy
Perfectionner les salariés en cours du soir
Former, certifier, promouvoir
Le diplôme de l'excellence ouvrière
L'action de la Direction de l'enseignement technique
La mise en ordre scolaire
Enseignants et employeurs : des espaces de connivences
Des politiques volontaristes d'établissement
Réalités et limites de la formation
Le coût humain de la formation Initiative des salariés et déni de reconnaissance des diplômes
Le grand renversement (début des années 1960)
Conclusion
Références bibliographiques
7. De la négociation entre interlocuteurs sociaux au dialogue social entre partenaires, par Lucie Tanguy
Une construction mythifiée du droit à la formation
Un paritarisme sans parité
La formation : un laboratoire d'expérimentations sociales et politiques
Références bibliographiques.