Si l'aventure des Empêcheurs de penser en rond a commencé sur un coup d'audace au sein d'un laboratoire pharmaceutique (une alliance qui n'est pas allée sans friction !), elle s'est poursuivie au Seuil, puis, depuis 2008, au sein de La Découverte, une maison avec laquelle les Empêcheurs partageaient beaucoup de points communs.
Ce n'est pas tant une « ligne éditoriale » précise et fermée qui a jamais défini les Empêcheurs, mais une volonté d'expérimentation toujours en cours. Au fil des années, plusieurs domaines se sont imposés. Le premier titre publié en 1989, Hypnose, blessure narcissique de Léon Chertok et Isabelle Stengers, fait un lien parfait entre les débuts et tout le reste de l'histoire. Le travail de Bertrand Méheust (entre autres Somnambulisme et Médiumnité, en 1999) a permis de poursuivre dans cette voie et a été suivi de la réédition des œuvres de Ernesto de Martino. Enfin, la rencontre avec Tobie Nathan et l'ethnopsychiatrie a été des plus fructueuses.
Au long de ce chemin emprunté en 1989, Isabelle Stengers (à qui on doit le nom de la collection) a été celle qui, sans porter la responsabilité de tous les choix – inégaux –, a donné l'impulsion, conseillé des auteurs, comme Vinciane Despret ou Starhawk (les livres de cette dernière ont été réédités aux éditions Cambourakis), réorienté les grands choix. Un moment important a été l'édition d'Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient (2009) qui ouvre la voie à la publication de nouveaux auteurs : David Abram, Émilie Hache, Deborah Bird Rose, Anna L. Tsing et, pour la rentrée de septembre 2021, Donna Haraway. Elle nous a incité à rééditer des œuvres de John Dewey ou de William James. Mais parler d'Isabelle Stengers, c'est tout de suite en venir à Bruno Latour. Ses premiers travaux (La Vie de laboratoire, Pasteur, guerre et paix des microbes, publiés aux éditions La Découverte) viennent répondre à une des préoccupations fondatrices des Empêcheurs : qu'est-ce que la science ? Comment se fait-elle ? Qu'en attendre ? Dès les premières années des Empêcheurs, nous organisions avec Bruno Latour et Michel Callon de grandes manifestations publiques (les vingt ans du Centre de sociologie de l’innovation de l'École des mines ; la reconstitution salle Gaveau d'une conférence de Pasteur contre la théorie de la génération spontanée avec Bruno Latour dans le rôle-titre). Avec le soutien de Bruno Latour, nous avons aussi réédité les œuvres de Gabriel Tarde. Enfin, le livre de Bruno Latour, Face à Gaïa, reste un marqueur pour une nouvelle génération d'auteurs comme Frédérique Aït-Touati, Pierre Charbonnier, Sébastien Dutreuil ou Nastassja Martin.
Deux autres livres illustrent l'évolution des Empêcheurs : Les Faiseuses d'histoires. Que font les femmes à la pensée ? d'Isabelle Stengers et Vinciane Despret (2011) et Quand le loup habitera avec l'agneau (2002, réédition augmentée 2020) de Vinciane Despret, qui pourrait bien inscrire la naissance en langue française de ce que l'on appelle l'écoféminisme. Cependant, les Empêcheurs n'ont jamais été une école : ils continuent leur exploration de nouveaux domaines avec des auteurs comme Norman Ajari, dont le livre La Dignité ou la mort. Éthique et politique de la race a paru en 2019.
Désormais on s'aperçoit que, sans que cela n'ait jamais été un projet, la grande majorité des auteurs des Empêcheurs sont des autrices : les Empêcheuses de penser en rond pourrait bien être le nouvel intitulé de la collection.
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