De la naissance de l'histoire comme discipline jusqu'à ces dernières décennies, la question de l'écriture a fait couler beaucoup d'encre. Elle a cependant surtout été envisagée sous l'angle des rapports entre histoire et littérature, et plus spécifiquement même entre histoire et roman. On trouvera bien sûr, dans ce numéro spécial du Mouvement social, quelques échos à ces débats sous forme de rappels, de prolongements et d'actualisations. Mais ce qui nous semble désormais mériter attention relève de tout autre chose : de transformations majeures du contexte et des formes.
Du contexte d'abord, fait tout à la fois, comme l'explicite Guillaume Mazeau, d'un " élargissement de l'audience de l'histoire " et d'une " augmentation de ceux qui en font, avec des conséquences patentes pour notre discipline ; d'une supposée crise de l'édition en sciences humaines et sociales ; d'injonctions scientifiques de plus en plus appuyées à faire de l'histoire " hors les murs ". C'est la question de la place et de l'influence, dans la Cité, des professions intellectuelles qui est ici posée.
Parallèlement, en réponse ou sans lien, les historiens se saisissent de façon croissante de formes d'écriture " alternatives ", qui tantôt prolongent mais réinventent des familiarisations déjà anciennes (la bande dessinée, le documentaire sonore ou audiovisuel...), tantôt s'engouffrent dans les potentialités ouvertes par le Web depuis plus de deux décennies. Autant de pratiques qui étendent peu à peu les territoires de l'écriture historienne.
Ces deux types de transformations nous ont semblé poser à nouveaux frais la question que soulevait Claire Lemercier à propos de l'accès ouvert aux publications scientifiques, et qui peut être étendue à l'ensemble de nos travaux : " pour qui écrivons-nous ? " C'est donc à donner à voir ce champ en labour, à montrer comment les historiens sortent aujourd'hui des " laboratoires, des archives et des bibliothèques ainsi qu'à amorcer un retour réflexif et critique plaçant plus particulièrement la focale sur l'histoire sociale, que ce numéro double, publié à l'occasion du soixantième anniversaire de notre revue, est consacré.
Revue trimestrielle fondée par Jean Maitron en 1960, puis dirigée de 1971 à 1982 par Madeleine Rebérioux, Le Mouvement social est publié par l'association du même nom, avec le concours du CNRS et avec la collaboration du Centre d'histoire sociale du XXe siècle (ex-Centre de recherche historique des mouvements sociaux et du syndicalisme de l'université Paris-I-CRHMSS), et diffusé avec le concours du Centre national du livre.
Le Mouvement Social rend compte des développements récents de l'histoire sociale : à l'histoire des engagements collectifs et des organisations professionnelles, qui constituait à l'origine sa raison d'être et qui demeure l'un de ses principaux centres d'intérêt, s'ajoutent d'autres approches d'histoire sociale et d'autres champs d'étude : l'histoire du travail et de l'économie, l'histoire sociale du politique et de l'État, l'histoire culturelle et des imaginaires sociaux, celle des rapports de genre, celle, aussi, de l'immigration et de toutes les formes de mobilité. La revue embrasse l'époque contemporaine dans toute son ampleur, des premières années du XIXe siècle au début du XXIe siècle.
1960-2020 : soixante ans d'histoire sociale. À nos lecteurs
Éditorial. Les écritures alternatives : faire de l'histoire " hors les murs " ?,
par Axelle Brodiez-Dolino et Émilien Ruiz
Incursions littéraires
Écrire l'histoire en images. Les historiens et la tentation de la bande dessinée,
par Sylvain Lesage
Mettre en scène l'enquête en sciences sociales : formes et enjeux de la valorisation artistique des travaux de recherche,
par Odile Macchi
" Là est son gibier ". Achoppements théoriques et pratiques d'un historien écrivain,
par Sylvain Pattieu
Explorations audiovisuelles
Sous l'œil des Houillères. Retour sur une expérience documentaire,
par Marion Fontaine
Entendre l'histoire pour comprendre son élaboration : des bulles sonores à la webapp " passe-ici.fr ",
par Isabelle Backouche et Sarah Gensburger
Expérimentations numériques
Le carnet de recherche. Un nouvel outil dans l'écriture d'une histoire du temps présent,
par Malika Rahal
Écrire pour le (grand) public sans renoncer aux pairs : trois expériences de revues en ligne,
entretien avec Nicolas Delalande (La Vie des idées
), Emmanuel Bellanger et Charlotte Vorms (Métropolitiques
) et Sébastien Poublanc (Mondes sociaux
)
Innovations académiques ?
Les Français, la mémoire de la Grande Guerre et son centenaire,
par Antoine Prost
L'histoire populaire : label éditorial ou nouvelle forme d'écriture du social ?,
par Émilien Ruiz
L'histoire sociale autrement
Résumés
Livres reçus