Au cours des années 1990, un nouveau langage s'est progressivement imposé dans les milieux de l'action sociale – et plus largement dans l'espace public – pour qualifier les problèmes de la société contemporaine : celui de la souffrance psychique. Chômeurs de longue durée, adolescents en errance, jeunes usagers de drogue, sans-papiers et sans-domicile fixe, mais aussi travailleurs sociaux et agents administratifs qui les prennent en charge ont été considérés comme victimes d'une forme de fragilisation psychologique, justifiant l'intervention des pouvoirs publics et des acteurs privés. Pour remédier à ce nouveau désordre, des lieux d'écoute se sont multipliés en France depuis une dizaine d'année, sous l'égide de l'État. C'est à ce phénomène que ce livre s'intéresse, aux modalités de mise en œuvre de ces dispositifs, à leur signification et à leurs enjeux. Par l'enquête menée dans plusieurs de ces structures, on découvre, au-delà des logiques compassionnelles, une grande diversité de pratiques. Certes, il s'agit toujours de psychologues dans leur rôle traditionnel de thérapeutes, mais plus souvent, ils se font conseillers, animateurs, éducateurs. Quant au public, sa composition et ses attentes sont bien différentes de ce qu'on avait imaginé. Espaces de socialité et d'entraide, mais aussi de normalisation des conduites et de pacification des marges, ces lieux révèlent des formes nouvelles de traitement local des inégalités sociales, attentives à leurs effets, faute de pouvoir agir sur leurs causes.
Didier Fassin est professeur au Collège de France, où il est titulaire de la chaire " Questions morales et enjeux politiques dans les sociétés contemporaines ". Il enseigne également à l'Institute for Advanced Study de Princeton et à l'École des hautes études en sciences sociales. Il est notamment l'auteur, à La Découverte, de Quand les corps se souviennent (2005) et Économies morales contemporaines (dir., avec Jean-Sébastien Eideliman, 2012).
Remerciements
Introduction : Écouter la souffrance
Première partie : Souffrir par le social, gouverner par l'écoute
1. Naissance d'une politique, entre textes et contextes
Le moment de la nouvelle question sociale
Les années 1980, entre nouvelle pauvreté et violences urbaines
Les années 1990 et le resserrement autour de l'exclusion
Les découvreurs de la souffrance
De la souffrance des exclus à la souffrance des intervenants
Vers une santé mentale hors secteur psychiatrique
Les instituteurs de l'écoute
L'essor de la clinique psychosociale
Un souci d'ordre public
2. Les lieux de l'enquête, des mots aux choses
Enquêter sur des pratiques
Des choix, des refus
Entendre, voir
Constructivisme, réalisme
L'esprit des lieux
Des structures d'accueil pour adolescents
Des initiatives d'aide à l'insertion
Un conseil juridique et social
3. Petits arrangements avec la souffrance et l'écoute
Retour sur des hypothèses
Scènes de la vie des quartiers
La subjectivation du social
Qualifier la souffrance
Usages polémiques
Significations pratiques
Public rêvé, public reçu
Représentations des destinataires
Présence des usagers
Les pratiques de l'écoute
La clinique du social
La prestation de services
Des intervenants en difficulté
La précarité des statuts
La déprofessionnalisation des métiers
Deuxième partie : Cinq études de cas, Seine-Saint-Denis, Paris
4. Un dispositif d'observation psychologique
Un public insaissable
Représenter pour justifier
Observer sans intervenir, écouter sans agir
Le retour du refoulé social
Une différence de traitement
Bonnes et mauvaises souffrances
5. Un espace de sociabilité pour des adolescents
Un point de passage
Des éducateurs de rue aux psychologues
Une écoute banalisée
Un refuge de proximité
Un public à l'image du quartier
Être écouté, c'est pouvoir parler
6. Une traditon d'accueil des pauvres
Une logique de l'urgence sociale
Une maison au cœur de la ville
L'équipe et son public
De l'accueil au suivi
Deux sauvetages
Des missions multiples
7. Une rencontre improbable entre des psychanalystes et des chômeurs
L'insertion saisie par la psychologie
De l'insertion par le travail à l'insertion par la santé
Des allocataires aux référents
Les ambiguïtés de l'injonction sociale
Créer une demande, prolonger un suivi
Contrôle social, liberté du sujet
8. Un conseil juridique aux victimes de violences
Le droit comme ressource
Du réseau national à la permanence locale
Une question de militantisme
L'aide aux victimes
Des vies reconstruites
Une médiation sociale
Conclusion : Des inégalités qu'on ne peut plus nommer
Bibliographie.