" J'ose à peine poser cette question latente mais incontournable : combien de mains avaient fabriqué les presse-papiers à partir de têtes, les abat-jours et les reliures de livres en peau humaine tannée ? ". Parce qu'un crime dit " contre l'humanité " suppose l'appui d'une organisation, d'une structure, d'un régime politique et en est même souvent l'émanation, l'interrogation d'Imre Kertész dans Le Refus vient donner forme à l'immensurable, lorsqu'il s'agit de rechercher des coupables.
En matière de justice pénale internationale, une interrogation à la fois philosophique et juridique – amenée de façon pour le moins épineuse par la défense lors du procès de Klaus Barbie – irrigue les débats sur la légitimité des juridictions nationales comme internationales, les applications du principe de compétence universelle et tant d'autres questions : " comment peut-on se présenter comme mandataire de l'humanité sans la majorité des hommes qui la constituent ? ". Si l'argument avait alors pour objectif premier de questionner la qualification pénale du " crime contre l'humanité ", il semble en vérité d'une portée bien plus vaste et dire beaucoup de la situation actuelle. Qui est mandataire de l'humanité violée ailleurs et/ou naguère ? La réponse se trouve notamment prise dans le maillage complexe des relations internationales – négociations, tensions et amitiés diplomatiques ou stratégiques – et des jeux politiques internes des gouvernements. Elle s'articule également, ainsi que l'expose Mireille Delmas-Marty, sur les tensions à l'œuvre entre une approche politique empreinte de souverainisme et une vision juridique qui aspire à l'universalisme. Mais comment s'accommoder de telles tergiversations face au constat – toujours actuel – selon lequel les crimes les plus grands sont les moins souvent punis ?
Édito. Juger de loin
Thème. Crimes internationaux : une justice verrouillée ?
Passé et présent des principes de Nuremberg, par
Viviane E. Dittrich et Natacha Bracq
Généalogie d'une justice pénale internationale à la française,
par Julian Fernandez
Une justice sans frontières ?
par David De Pas
Que faire des dessins ? Cahier spécial
Victimes de crimes de masse : chronique d'un oubli,
par Jeanne Sulzer
L'universel en demi-teinte,
par Clémence Bectarte
Instruire à distance,
par Ariane Amson
Apprivoiser les preuves numériques : la réception française de l'OSINT, par Aurélie Aumaître et Hervé Letoqueux
Variations
Quelle justice pour les élites délinquantes ? par
Pierre Lascoumes
Biais cognitifs au tribunal pour enfants : faites entrer les faits,
par Étienne Kubika et Redwan Maatoug
Rubriques
L'invité-e. Dobbs, l'avortement et la Constitution,
par Stéphanie Hennette-Vauchez
Justice partout. Du bon usage de la crise. L'" État de droit " du point de vue de la CJUE,
par Vincent Sizaire
Justice pour toustes. Protéger les données de la recherche. Entretien croisé de Margot Verdier,
avec Thierry Dominici et Marie-Ève Maillé
Pièces à convition(s). Livres, films, etc.