Pourquoi les sciences modernes n'avancent-elles que sur un mode guerrier : guerre du scientifique contre ses concurrents, du savant contre le " charlatan ", du " nouveau " contre l'" ancien " ? Pourquoi les sciences s'affirment-elles sous le jour le plus faux : triomphe d'un savoir enfin objectif, neutre et désintéressé, produit par une démarche méthodique, humble et sereine ? Et pourquoi quand les scientifiques disent leurs rêves et leurs ambitions, est-ce si souvent la spéculation arrogante et la polémique qui s'expriment ? Pourquoi, par exemple, la physique moderne est-elle habitée par la conviction qu'elle seule peut percer l'énigme de ce monde, énigmatiquement intelligible comme l'a dit Einstein ? Peut-on répondre à ces questions sans insulter les passions des scientifiques mais d'une manière qui leur permette d'échapper à " la passion moderne de disqualifier toute pratique qui ne souscrit pas à l'affirmation d'un monde unique " ?
C'est pour répondre à ces questions qu'Isabelle Stengers revisite quelques grands moments de l'histoire des sciences. Si nul d'entre nous n'a le droit de prétendre représenter le " genre humain " ou d'inventer " une utopie qui vaille pour tous les habitants de la terre ", nul n'a non plus le droit de raconter cette histoire des sciences dites modernes comme celle de la découverte d'une réalité qui devrait faire autorité pour tous et toutes. Les passions qui habitent cette histoire ne sont pas arbitraires mais singulières, et c'est cette singularité qu'il convient de cultiver s'il s'agit de nous libérer de l'insupportable tolérance de ceux qui prétendent " savoir " envers ceux qui, disent-ils, " croient ".
Les cosmopolitiques d'Isabelle Stengers nous demandent, selon Donna Haraway, de penser, et de prendre des décisions " en présence de celles et ceux qui en porteront la conséquence ".
Isabelle Stengers, docteur en philosophie, est professeure émérite à l'Université libre de Bruxelles. Elle est l'auteure de nombreux livres sur l'histoire et la philosophie des sciences, dont, à La Découverte, L'Invention des sciences modernes (1993), Sciences et pouvoir (1997, 2002), Au temps des catastrophes (2009, 2013) et Réactiver le sens commun (2020). Elle a reçu le grand prix de philosophie de l'Académie française en 1993.
Préface. Vingt-cinq ans après
Préambule
Première partie
La guerre des sciences
1. Passions scientifiques
2. Le mode d'existence paradoxal du neutrino
3. Mettre en culture le
pharmakon ?
4. Contraintes
5. Présentations
6. La question des inconnues
Deuxième partie
L'invention de la mécanique : pouvoir et raison
1. Le pouvoir des lois de la physique
2. La singularité des corps qui tombent
3. L'événement lagrangien
4. La mesure abstraite : mettre au travail
5. La chaleur au travail
6. Les étoiles, tels des dieux bénis
7. Si nous pouvions
Troisième partie
Thermodynamique : la réalité physique en crise
1. Le triple pouvoir de la Reine des Cieux
2. Anamnèse
3. L'énergie se conserve !
4. Le peu profond mystère de l'entropie
5. Les obligations du physicien
6. Percolation
7. Sans épilogue
Quatrième partie
Mécanique quantique : la fin du rêve
1. Les atomes existent !
2. Renoncer au rêve ?
3. La leçon de Niels Bohr
4. L'ironie quantique
5. Le double jeu des physiciens
6. L'autiste descendante de la Reine des Cieux
Cinquième partie
Au nom de la flèche du temps : le défi de Prigogine
1. La question de la flèche du temps
2. Le successeur de Boltzmann
3. L'héritier de Boltzmann
4. Les obligations du chaos
5. Les lois du chaos ?
6. La passion de la loi
Sixième partie
La vie et l'artifice : visages de l'émergence
1. La question de l'émergence
2. Les pratiques de l'émergence
3. Cohérences dissipatives
4. L'artifice et la vie
5. L'art des modèles
6. Passage à la limite
Septième partie
Pour en finir avec la tolérance
1. La malédiction de la tolérance
2. Mise à l'épreuve
3. La frayeur et l'angoisse
4. La politique des inventions techniques
5. La question cosmopolitique
6. Nomades et sédentaires ?
7. La trahison des diplomates
8. La paix des diplomates
9. Calculemus
10. Hors calcul ?