Selon la formule célèbre de Max Weber, l'État revendique le monopole de la violence physique légitime. Tout au long de l'époque contemporaine, il organise des forces de l'ordre de plus en plus nombreuses et professionnalisées.
Des amateurs n'ont pourtant jamais cessé de participer aux fonctions policières. Ils (rarement elles) viennent en renfort quand le besoin s'en fait sentir ou quand le désir les y entraîne. Appui citoyen ou aiguillon sécuritaire, ils revêtent des visages variés : foules révolutionnaires formant leur propre police, gardes nationaux héroïques ou ventripotents, " amis de l'ordre " armés de gourdins, détectives amateurs de la Belle Époque, volontaires ou requis des temps de guerre, gardes civiques de la Libération, enfants enquêteurs des Trente Glorieuses, milices des années Giscard, réservistes de la gendarmerie, voisins vigilants du XXIe siècle... Ce livre retrace dans leur diversité souvent pittoresque l'histoire foisonnante de ces groupes méconnus.
Suivre leur trace, comprendre les limites et les critiques de leur action, dont les sources documentent surtout les échecs, c'est éclairer l'envers de la construction de l'État, que l'on réduit trop souvent à la croissance des institutions publiques, alors qu'elle procède aussi d'une mobilisation civique.
À l'heure où l'on s'interroge sur les pratiques policières, les obsessions sécuritaires et la participation citoyenne, cette enquête historique de grande ampleur, fondée sur une large palette de sources originales, entend apporter du recul et de la nuance au débat public.
Introduction
Première partie. Bricolages civiques dans un système policier
en construction, 1789‑1880
1. De nécessité faire vertu ? Les citoyens acteurs de la police
(fin XVIIIe siècle-1830)
L'héritage d'une " police sans policiers "
Faire la police en Révolution (1789‑1792)
1789, l'été des milices
Comment maintenir l'" ordre nouveau " ?
" Deux classes, dont l'une ne semblerait armée que pour contenir l'autre "
Vigilances civiques (1792‑1794)
La mise à l'écart des citoyens
L'effacement des structures civiques
Le temps des professionnels ?
2. Illusions civiques, ou la garde nationale au temps des révolutions (1830‑1871)
La garde nationale ressuscitée et rendormie (1830‑1848)
Une révolution à tempérer
Éloge de la " garde bourgeoise ".
" L'activité n'est pas l'état habituel du garde national "
Du civisme républicain à l'ordre impérial (1848‑1870)
" Nous sommes tous des commissaires de police depuis qu'il n'y en a plus "
La police aux policiers
Les derniers feux des milices civiques (1870‑1871)
Potentialités policières des collectifs communautaires
Paris, 1870‑1871 : police citoyenne, police d'un autre type ?
" Inutiles et dangereuses " : épitaphe pour les gardes nationales
3. Idéologues en armes. Les " amis de l'ordre " au XIXe siècle
Les gourdins réunis
La " manifestation de l'ordre "
La longue histoire des réactionnaires armés
Les " amis de l'ordre " contre la Commune
" Les bons citoyens commencent à se compter "
22 mars 1871, la réaction en marche ?
La Semaine sanglante : une répression organisée par l'État
Des gourdins sans héritiers ?
" Hommes d'ordre, unissez-vous "
" La police ne saurait être bien faite par des amateurs "
Deuxième partie. La place limitée des amateurs dans un système policier professionnel, de 1880 aux années 1960
4. Sous bonne garde. Remplacer la police absente
La garde civile de 1914 : une idée sans lendemain
Préparatifs d'avant-guerre
La très brève vie des gardes civiles
Gardes des années noires
L'" héroïsme en veston " de la défense passive
Les gardes territoriaux, acteurs de la sécurité ou de la guerre ?
Monter la garde sous l'Occupation
Polices partout ?
La Libération, ou le retour d'une police du peuple ?
" La police, c'est le peuple entier " (été 1944)
" Milices patriotiques " ou retour à la Police nationale ? (automne 1944)
Qui a cru aux gardes civiques ? (hiver 1945)
Des milices citoyennes pour des guerres sans nom
Une garde territoriale en guerre froide
Les milices civiles de la guerre d'Algérie
Volontaires de la défense républicaine
5. La " meute des honnêtes gens ". Épauler ou déborder la police ?
Appuis civiques
Tout le monde aide la police (ou pas)
Des héros méconnus ?
La " loi de Lynch ", réprouvée, tolérée, encouragée ?
" Puisque la police est insuffisante "
Ceux qui réclament davantage de police
Ceux qui veulent se protéger eux-mêmes
Ceux qui s'imaginent miliciens
Le petit monde des briseurs de grève
Le temps des Jaunes
Les unions civiques
Les gros bras des services d'ordre
" Hommes de confiance " et " groupes de défense " sous la IIIe République.
Au temps du " gaullisme d'ordre "
6. Détectives ou mouchards ? Renseigner la police
Dénoncer : les contraintes d'un devoir civique
Prévenir la police : impératif moral et obligations légales
Témoigner
Lhérot le mal nommé, ou les mésaventures d'un mouchard
Le goût de l'enquête
Éloge du détective désintéressé
Les enfants aussi mènent l'enquête
" Tout le monde fait des enquêtes "
Appels à la déduction ou appels à la délation ?
Appels à la population
Gare aux corbeaux
Troisième partie. Comment faire participer les citoyens dans un système policier en recomposition ? (des années 1968 à nos jours)
7. " Créez vos milices, soyez de la police " (années 1970‑1980)
La sécurité publique en crise
" La France a peur "
Des " envies folles de justice expéditive "
Ultra moderne solitude
Le temps des milices
Quels moyens pour renforcer la sécurité ?
Typologie des milices
La " croisade des honnêtes gens "
Une condamnation majoritaire
8. Police partout ?
La civilisation du signalement
Tous témoins ?
" En 40, j'aurais pas aimé être ton voisin "
Une pression sécuritaire débridée ?
Le nouvel âge des collectifs sécuritaires
Les " justiciers de la Toile "
Les cercles concentriques de la police
Réserve citoyenne et garde nationale
Participation citoyenne et voisins vigilants
Police et société : échanges à sens unique ?
Conclusion
Remerciements
Notes.