En 1685, le Code noir défendait " aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons " sous peine de fouet. Au XIXe siècle, en Algérie, l'État colonial interdisait les armes aux indigènes, tout en accordant aux colons le droit de s'armer. Aujourd'hui, certaines vies comptent si peu que l'on peut tirer dans le dos d'un adolescent noir au prétexte qu'il était " menaçant ".
Une ligne de partage oppose historiquement les corps " dignes d'être défendus " à ceux qui, désarmés ou rendus indéfendables, sont laissés sans défense. Ce " désarmement " organisé des subalternes pose directement, pour tout élan de libération, la question du recours à la violence pour sa propre défense.
Des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes, de l'insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer, Elsa Dorlin retrace une généalogie de l'autodéfense politique. Sous l'histoire officielle de la légitime défense affleurent des " éthiques martiales de soi ", pratiques ensevelies où le fait de se défendre en attaquant apparaît comme la condition de possibilité de sa survie comme de son devenir politique. Cette histoire de la violence éclaire la définition même de la subjectivité moderne, telle qu'elle est pensée dans et par les politiques de sécurité contemporaines, et implique une relecture critique de la philosophie politique, où Hobbes et Locke côtoient Frantz Fanon, Michel Foucault, Malcolm X, June Jordan ou Judith Butler.
Elsa Dorlin, professeure de philosophie à l'université Paris 8, est notamment l'auteure de La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française (La Découverte, 2006), Sexe, genre et sexualités. Introduction à la théorie féministe (PUF, 2008) et Se défendre. Une philosophie de la violence (Zones, 2017).
2017-10-18 - Jean-Marie Durand - Les Inrockuptibles
C'est une véritable généalogie de l'autodéfense, aussi documentée, argumentée qu'engagée, que tente avec force Elsa Dorlin. [...] La violence à laquelle s'intéresse Elsa Dorlin est celle, plus enfuie, des " subalternes ", de celles et ceux qui n'ont pas de " corps propre ", comme disait Locke : exclus du droit de résistance inscrit dans le contrat social, ce sont des " corps indignes d'être défendus ", pour lesquels la violence physique est surtout une nécessité vitale. Il s'agit, par le corps, par la voix, par les armes s'il le faut, de préserver sa vie et de retrouver sa puissance d'agir. Si la combattante qu'est Elsa Dorlin pourrait être tentée d'héroïser ces " éthiques martiales de soi ", la philosophe n'ignore pas leurs ambiguïtés. Un ouvrage costaud.
2017-11-01 - Catherine Portevin - Philosophie Magazine
Son dernier ouvrage, passionnant, s'intitule Se défendre. Une philosophie de la violence (La Découverte, 2017). Il est de ces livres qui vous accompagnent toute une vie.
2017-11-16 - Abdourahman Waberi - Le Monde
Elle y explore des cas peu connus d'autodéfense, comme la pratique du krav-maga dans les communautés juives d'Europe de l'Est au début du XXe siècle, ou les suffragistes anglaises qui apprenaient le ju-jitsu pour faire face à la police. Mais voilà : nous ne sommes pas égaux devant l'autodéfense. Certaines vies sont jugées dignes de se défendre, par exemple les colons en Algérie, qui avaient le droit de porter des armes. Et d'autres non, comme le montre son analyse de l'affaire Rodney King.
2017-12-07 - Eric Aeschimann - L'Obs
Dans " Se défendre ", la chercheuse rend justice à la violence que les opprimés déploient face à leurs oppresseurs. Un superbe retour à la vérité charnelle de la politique. (....)
2017-12-08 - Jean Birnbaum - Le Monde des Livres
Dans un ouvrage à mi-chemin entre l'histoire et la philosophie ; Elsa Dorlin s'interroge sur l'histoire de l'autodéfense. [...] Les analyses, toujours fines, embrassent des vies sur la défensive, mais qui s'arment de tactiques et de stratégies, panoplies de répliques à la violence d'autrui. On relèvera, parmi d'autres pages denses et originales, les développements consacrés au " ju-jitsu des suffragistes " britanniques : pour certaines d'entre elles, l'autodéfense devient un " art total ", porteur de pratiques de soi qui touchent au corps, à l'intime et au politique.
2018-01-01 - Vingtième siècle
Une ligne de démarcation sépare les sujets dignes de se défendre et d'être défendus, des corps vulnérables et violentables, acculés à des tactiques défensives qui relèvent de l'autodéfense, à ne pas confondre avec le concept juridique de la légitime défense. Elsa Dorlin se concentre ici sur des moments de passage à la violence défensive et retrace une généalogie, une histoire constellaire des ethniques martiales de soi ".
2018-01-24 - Lundi Matin
Les livres, ceux qui comptent du moins, n'adviennent pas par hasard. Ils débarquent un beau matin, et c'est comme s'ils prenaient la parfaite mesure de l'air du temps. De ce qui est en train de se jouer. Ouvrages précieux parce que se situant sur l'étroit fil du moment – ils disent le déséquilibre du monde tout en donnant des clés pour ne pas tomber. Pour comprendre ce qui est en train d'advenir, là, maintenant, tout de suite. Se défendre – Une philosophie de la violence est l'un de ces livres rares. Signé de l'universitaire Elsa Dorlin, professeure de philosophie à Paris 8, il revient sur l'histoire de l'autodéfense et creuse la question du rapport à la violence, de façon lumineuse et combative. Et donne des clés pour se ressaisir enfin de la force collective et mettre fin au sentiment d'impuissance généralisé.
2018-05-01 - Jean-Baptiste Bernard - CQFD
Bataillons d'amazones de la Révolution, insurrection du ghetto de Varsovie face à la terreur nazie, groupes d'autodéfense des Noir·e·s américain·e·s...Elsa Dorlin s'interroge sur l'usage de la violence par les désarmé·e·s au gré de l'histoire : colonisé·e·s,femmes, homosexuel·le·s... Est-elle légitime ? Pourquoi ? Comment ? La philosophe assume une radicalité qui peut, parfois, ne pas emporter l'adhésion (faut-il être forcément d'accord à 100 % avec une pensée ?) mais fait toujours réfléchir. Son érudition et ses analyses hors des sentiers battus font de cet essai un bonheur de lecture, tout simplement.
2020-05-01 - Femmes ici et ailleurs
Prologue : Ce que peut un corps
1. La fabrique des corps désarmés
Brève histoire du port d'armes
Désarmer les esclaves et les indigènes : droit de tuer contre subjectivité à " mains nues "
Ascèse martiale : cultures de l'autodéfense esclave
La force noire de l'Empire : " Vive le patriarcat, vive la France ! "
2. Défense de soi, défense de la Nation
Mourir pour la patrie
" Femmes, armons‑nous " : les bataillons d'Amazones
Armée citoyenne ou défense du Capital ?
Le ju‑jitsu des suffragistes : combat rapproché et antinationalisme
3. Testaments de l'autodéfense
Mourir en combattant : l'insurrection du ghetto de Varsovie
L'autodéfense comme doctrine nationale
Généalogie du krav maga
4. L'État ou le non-monopole de la défense légitime
Hobbes ou Locke, deux philosophies de la défense de soi
Se faire justice soi‑même : milices et " coopératives judiciaires"
Le vigilantisme ou la naissance de l'État racial
5. Justice blanche
Du lynchage à la légitime défense : " un mensonge cousu de fil blanc "
" Il faut défendre les femmes "
6. Self-défense : power to the people !
En finir avec la non-violence : " Arm Yourself or Harm Yourself "
Les Black Panthers : l'autodéfense comme révolution politique
7. Autodéfense et sécurité
SAFE !
Autodéfense et politique de la rage
De la vengeance à l'
empowerment
8. Répliquer
Sans défense
Phénoménologie de la proie
Épistémologie du souci des autres et
care négatif
Remerciements
Notes.