Cet essai voudrait relier trois phénomènes que les commentateurs ont déjà repérés mais dont ils ne voient pas toujours le lien –; et par conséquent dont ils ne voient pas l'immense énergie politique qu'on pourrait tirer de leur rapprochement.
D'abord la " dérégulation " qui va donner au mot de " globalisation " un sens de plus en plus péjoratif ; ensuite, l'explosion de plus en plus vertigineuse des inégalités ; enfin, l'entreprise systématique pour nier l'existence de la mutation climatique.
L'hypothèse est qu'on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans, si l'on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation. Tout se passe en effet comme si une partie importante des classes dirigeantes était arrivée à la conclusion qu'il n'y aurait plus assez de place sur terre pour elles et pour le reste de ses habitants. C'est ce qui expliquerait l'explosion des inégalités, l'étendue des dérégulations, la critique de la mondialisation, et, surtout, le désir panique de revenir aux anciennes protections de l'État national.
Pour contrer une telle politique, il va falloir atterrir quelque part. D'où l'importance de savoir comment s'orienter. Et donc dessiner quelque chose comme une carte des positions imposées par ce nouveau paysage au sein duquel se redéfinissent non seulement les affects de la vie publique mais aussi ses enjeux.
Bruno Latour (1947-2022), sociologue et philosophie, professeur associé au médialab de Sciences Po, a notamment publié Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique (2015), Où atterrir ? Comment s'orienter en politique (2017) et Où suis-je ? Leçons du confinement à l'usage des terrestres (2021).
2017-10-12 - Eric Aeschimann - L'Obs
Tout se passe, dit Bruno Latour, comme si " une partie importante des classes dirigeantes (ce qu'on appelle aujourd'hui de façon trop vague les "élites") " s'était résolue à l'idée qu'il n'y a plus à chercher un " horizon commun " pour tous les hommes, encore moins à construire un monde commun, et avait somme toute renoncé à diriger, pour uniquement " se mettre à l'abri hors du monde ". D'où la désorientation générale. Pour savoir ce que signifie être entré " dans un Nouveau Régime climatique " – conditionnant tous les autres problèmes – Latour propose donc quelques cartes d'orientation, où pourraient être identifiées " certaines émotions politiques " nouvelles, d'autres affects, d'autres objets d'attention, et où d'autres enjeux pourraient être définis.
2017-10-14 - Robert Maggiori - Libération
Le sociologue revient sur la nécessité de rapprocher des phénomènes : le choix de la dérégulation comme méthode politique, la montée vertigineuse des inégalités et la dénégation de la mutation climatique, le tout aboutissant à la fin d'un monde commun, à la perte d'une orientation commune géopolitique, et à un schisme occidental, séparant les États-Unis trumpistes qui refusent de négocier leur mode de vie avec le reste de l'Europe, plus prompt à s'interroger sur la mise en place d'un destin " terrestre " commun.
2017-10-27 - Cynthia Fleury - L'Humanité
C'est un ouvrage à la fois important, surprenant et inquiétant que le livre de philosophe Bruno Latour, avec Où atterrir ? Comment s'orienter en politique.
2017-12-01 - Joseph Confavreux - Mediapart
Depuis vingt ans, Bruno Latour tente divers remèdes pour guérir notre cécité quant au changement climatique. Il use là d'une " politique-fiction " à l'humour féroce et aux accents réalistes [...].
2017-12-07 - Béatrice Bouniol - La Croix
Face au réchauffement climatique, l'égoïsme des élites est sans limites, s'indigne le philosophe, qui appelle à renverser la vapeur. Objectif : repenser la Terre et mieux la partager.
2017-12-16 - Weronika Zarachowicz - Télérama
À ce propos, dans Où atterrir ? Bruno Latour s'intéresse à notre intelligence du déni, et même à notre science du déni.
2018-01-03 - Yann Diener - Charlie Hebdo
Table en forme de résumé
1. Une hypothèse de politique-fiction : l'explosion des inégalités et le déni de la situation climatique sont un seul et même phénomène
2. Grâce à l'abandon par l'Amérique de l'accord sur le climat, nous savons enfin clairement quelle guerre a été déclarée
3. La question des migrations concerne maintenant tout le monde offrant une nouvelle et très perverse universalité : se voir privé de sol
4. Il faut se garder de confondre la mondialisation-plus avec la mondialisation-moins
5. Comment les classes dirigeantes mondialisées ont décidé d'abandonner peu à peu tous les
fardeaux de la solidarité
6. L'abandon d'un monde commun entraîne un certain désordre dans la confiance due aux faits
7. L'apparition d'un troisième pôle vient renverser l'orientation classique de la modernité prise
entre les deux pôles du Local et du Global
8. L'invention du " trumpisme " permet de repérer un quatrième attracteur, le Hors-Sol
9. En repérant l'attracteur Terrestre, on définit une nouvelle orientation géopolitique
10. Pourquoi les succès de l'écologie politique n'ont pas toujours été à la hauteur des enjeux
11. Pourquoi elle a eu tant de peine à s'extraire de l'opposition Droite/Gauche
12. Comment assurer le relais entre les luttes sociales et les luttes écologiques
13. La lutte des classes sociales devient une lutte des places géo-sociales
14. Le détour par l'histoire des sciences permet de comprendre comment une certaine notion
de " nature " a figé les positions politiques
15. Il faut parvenir à désensorceler la " nature " capturée par la vision moderne de l'opposition
Gauche/Droite
16. Un monde composé d'objets n'a pas le même type de résistance qu'un monde composé d'agents
17. Les sciences de la Zone Critique n'ont pas les mêmes fonctions politiques que celles des autres sciences naturelles
18. La contradiction s'avive entre système de production et système d'engendrement
19. Reprise de la description des terrains de vie –; le possible modèle des cahiers de doléances
20. Plaidoyer personnel pour le Vieux Continent
Notes.