Peut-on penser et rendre effective l'exigence de la justice et de la démocratie en faisant l'hypothèse que nous sommes tous essentiellement des calculateurs impénitents, avant tout soucieux de leur seul intérêt personnel ? Oui, répond le libéralisme politique contemporain qui, de John Rawls à John Harsanyi ou David Gauthier, s'efforce de dessiner les traits d'une juste démocratie réduite à des règles de coexistence pacifique entre ces sujets " mutuellement indifférents ", si caractéristiques de l'actuelle société de marché. Non, objectent les " communautariens " et les républicains, qui en appellent à la nécessité d'une conception du bien commun partageable par tous, au risque de sembler vouloir ressusciter le fantôme de la société close d'antan. Tout en soumettant la théorie politique contemporaine à un examen aussi pédagogique qu'exigeant, Philippe Chanial montre comment nombre des débats actuels les plus cruciaux et des écueils sur lesquels ils achoppent, trouvent leur solution dans une tradition de pensée trop oubliée mais si près de renaître aujourd'hui : l'associationnisme civique, qui a constitué l'une des matrices principales de la pensée politique et des sciences sociales du XIXe siècle et du premier tiers du XXe siècle (au moins en France et aux Etats-Unis). Sous cet éclairage inédit, Tocqueville, Saint-Simon et Pierre Leroux, Jaurès, Durkheim ou John Dewey apparaissent unis par une commune intelligence de ce que Marcel Mauss appelait la " délicate essence " de la cité. Cet associationnisme civique, constellation assurément hétéroclite, vient nous rappeler qu'il existe une forme de bonheur dont la raison libérale et utilitaire est incapable de rendre compte, ce bonheur public que nous éprouvons dans l'engagement civique et associatif. Ce livre qui marque sa redécouverte devrait parler en profondeur tant aux philosophes, aux politistes ou aux sociologues qu'aux militants associatifs.
 
                
Philippe Chanial, secrétaire général de La Revue du MAUSS, est maître de conférences en sociologie à l'université Paris IX-Dauphine, où il codirige le CERSO (Centre d'études et de recherches en sociologie des organisations).

Introduction 
 Première partie : critique de la démocratie utilitaire et négative 
 1. La démocratie est-elle soluble dans le calcul ? 
 Comment sauver Homo democraticus du paradoxe du vote ? 
 Du paradoxe de l'électeur au paradoxe de l'action collective 
 Coclusion : du paradigme du calcul au paradigme du don (1) 
 2. Les morales du calcul sont-elles justes ? 
 Le juste calcul de l'utile selon Harsanyi 
 La rationalité de la justice selon D. Gauthier 
 Conslusion : du paradigme du calcul au paradigme du don (2) 
 3. La Théorie de la justice de Rawls est-elle rationnelle ? 
 Intérêt ou sympathie : comment justifier la priorité aux plus défavorisés ? 
 La Théorie de la justice est-elle vraiment sympathique ? 
 Conslusion : du paradigme du calcul au paradigme du don (3) 
 4. Le libéralisme peut-il être une politique ? 
 Consensus par recoupement, démocratie par évitement 
 Une démocratie négative, un républicanisme instrumental 
 Conslusion : de l'antinomie de la raison utilitaire à l'antinomie de la raison libérale 
 Deuxième partie : une tradition politique oubliée, l'associationnisme civique 
 5. Anti-utilitarisme, républicanisme et associationnisme dans la pensée libérale française 
 Le libéralisme français, un anti-utilitarisme romantique ? 
 Honneur, vertu et intérêt. L'associationnisme aristo-démocratique d'A. de Tocqueville 
 Conclusion 
 6. Morales socialistes, morales de l'association 
 Saint-Simon, Comte et la question de l'altruisme 
 Bonheur et justice selon Fourier et Proudhon 
 Le socialisme associationniste : un (anti-)utilitarisme sympathique 
 7. 1848-1898 : l'association est-elle politique ? 
 Associationnisme et républicanisme : la synthèse de 1848 
 Jaurès, Malon, Fournière : le socialisme démocratique français comme socialisme de l'association 
 8. De Durkheim à Mauss, la sociologie comme science, morale et politique de l'association-Durkheim, Morale de la sympathie, politique de l'association 
 Mauss. De l'Essai sur le don au socialisme de l'association 
 Troisième partie : au-delà de la démocratie négative, les enjeux contemporains de l'associationnisme civique 
 J. Dewey: politique de l'association, politique de la coopération 
 Pragmatisme, associationnisme et démocratie 
 Éthique de l'individualité, morale du bien commun 
 La démocratie comme idéal d'une vie associée 
 Conclusion : expérience démocratique, coopération et foi dans la nature humaine 
 10. C. Taylor, M. Sandel : politique de l'association, politique de la communauté 
 Communautarisme et libéralisme : la querelle moderne de la liberté des anciens et de smodernes
 Le communautarisme est-il un associationnisme ? 
 11. M. Walzer : politique de l'association, politique de la société civile 
 Association et dissociation : le libéralisme communautaire de M. Walzer 
 Société civile, société civique 
 État solidaire et société solidaire : la part du don 
 Quatrième partie: au-delà de la justice comptable, don, solidarité et association 
 12. Pour une histoire de la protection sociale dont le héros seraient des concepts 
 Don et protection sociale 
 Honneur, charité et comptabilité 
 Bienfaisance, citoyenneté et utilité 
 13. La République, la question sociale et l'association 
 Le pacte d'association du solidarisme républicain 
 De Mauss à Jaurès. Associationnisme civique et protection sociale 
 P. Rosanvallon. Au-delà de la société assurancielle, le règne de l'équivalence ? 
 Conclusion générale : justice, démocratie et inconditionnalité, vers un revenu de citoyenneté ? 
 Le revenu inconditionnel est-il soluble dans le langage des droits ? 
 Le revenu inconditionnel comme don de la citoyenneté 
 Politique du don, politique de la société civile 
 Bibliographie générale.