Il s'agit d'explorer les imaginaires, les régimes du dicible et du visible, les enjeux de définition que la mort recouvre dans différents domaines : des hommages en ligne, sur la page Facebook d'une personne défunte ou sur une borne numérique érigée sur les lieux d'un attentat, à la définition du statut juridique des données à caractère personnel des personnes défuntes, en passant par les hommages aux célébrités décédées dans les grands médias. Chacun de ces domaines présente une même caractéristique : celle de représenter, d'écrire, de dire et donc de définir la mort. Cette entrée par les enjeux de sémiotisation, d'écriture et de représentation conduit à interroger la manière dont la mort se dessine, se donne à voir et se réalise dans différents dispositifs. Elle soulève en outre toute une série de questions sur le rôle du langage et de l'écrit (juridique, médiatique, numérique) dans la gestion de la part affective de la mort. Aussi ce numéro choisit-il d'aborder les modes d'évocation de la mort comme autant d'expressions sensibles, d'interventions saturées d'affect et de performances émotionnelles. Au travers de cette exploration, il rend compte de la place centrale des vivants dans la fabrique des morts, et de la dimension relationnelle de toute évocation publique de la mort. Il s'agit non seulement de maintenir la relation avec les disparus mais aussi de faire communauté avec les personnes possiblement affectées par un décès.
Élaboré à partir d'une réflexion sur les traces numériques post mortem, dans le sillage d'un projet ANR sur les Éternités numériques (2014-2018), ce numéro interroge la spécificité de l'objet mort et la façon dont l'attention portée à cet objet déplace les cadres classiques d'appréhension du sujet, de l'identité et de la communauté. Pour cela, il propose quatre contributions qui s'intéressent à la fois à la formulation juridique de la mort et aux pratiques d'hommages et d'adresses aux défunts lors de décès au retentissement collectif (à la suite des attentats de Madrid ou lorsqu'il s'agit d'une personnalité par exemple) ou intime (la perte d'un proche dans une famille, un cercle amical ou une communauté professionnelle ou de loisirs). Chacune de ces contributions se penche sur les dimensions visibles et saisissables de la mort et par contraste, de la vie, ainsi que de la relation au défunt et à ses proches. Le repérage des normes qui régissent ces hommages et ces communautés émotionnelles ouvre également la voie à une réflexion sur les rapports de pouvoir qui traversent ces communautés.
Ce numéro de Réseaux a été coordonné par Fanny Georges, Virginie Julliard, Nelly Quemener et Hélène Bourdeloie.
La revue Réseaux. Communication - Technologie - Société, créée en 1982 par Patrice Flichy et Paul Beaud, s'intéresse à l'ensemble du champ de la communication en s'axant tout particulièrement sur les télécommunications. Les mass-médias et l'informatique sont également abordés. La télévision a notamment constitué le thème d'un nombre important de numéros. La réflexion sur la communication étant à l'origine de nombreux débats au sein des sciences sociales, des numéros sont aussi consacrés à des questions d'ordre théorique ou méthodologique. Bien qu'orienté plutôt vers la sociologie, Réseaux souhaite traiter les problèmes de la communication de façon pluridisciplinaire.
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Les auteurs
Introduction
Garder les morts vivants
Dispositifs, pratiques, hommages, par Virginie Julliard et Nelly Quemener
Dossier : Garder les morts vivants
Témoigner virtuellement sa solidarité aux victimes.
Les usages d'un dispositi informatique en gare d'Atocha après l'attenta du 11 mars 2004 à Madrid,
par Gérôme Truc
Hérauts et héros de la postérité.
Logiques de médiatisation et fabrique de la célébrité
post mortem,
par Nelly Quemener et Jamil Dakhlia
Produire le mort
Pratiques d'écriture et travail émotionnel des deuilleurs et des deuilleuses sur Facebook,
par Virginie Julliard et Fanny Georges
Défendre les vivants ou les morts ?
Controverses sous-jacentes au droit des données
post mortem à travers une perspective comparée franco-américaine,
par Lucien Castex, Edina Harbinja et Julien Rossi
Varia
La genèse autonome des réseaux de données en France et en Europe (1978-1992)
Une histoire extra-institutionnelle ?,
par Camille Palooque-Bergès
Quand les liens familiaux s'appuient sur les médias socionumériques
Approche sociojuridique des relations familiales au sein de la protection de l'enfance
, par Emilie Potin, Gaël Henaff et Hélène Trellu
Notes de lecture
L'innovatiion en eaux troubles : sciences techniques idéologies
dirigé par Ivan Sainsaulieu et Arnaud Saint-Martin,Editions du Croquant, par Sylvie Morel
Sociologie de la télévison, par Brigitte Le Grignou et Erik Neveu, La Découverte,
par Franck Babeau.