Depuis les années 2000 se multiplient à tous les échelons de l'enseignement supérieur des dispositifs de sensibilisation et de formation à l'" entrepreneuriat ". D'où provient cette injonction croissante d'éduquer la jeunesse à l'" esprit d'entreprendre " ? Que fait au fonctionnement de l'Université cette montée en puissance de la référence au monde économique en son sein ? Quels sont les enjeux politiques de cette fabrique de vocations entrepreneuriales ?
À partir d'une enquête au long cours combinant entretiens, observations et archives, l'ouvrage retrace la genèse de ce projet éducatif et les formes de son déploiement dans les universités et grandes écoles françaises – à travers notamment la dévalorisation des savoirs théoriques au profit de " savoir-faire " et de " savoir-être " supposés immédiatement utiles dans l'univers économique, l'adoption de normes de conduite valorisées en entreprise, etc.
Le projet éducatif ainsi déployé sous la bannière " entrepreneuriale " participe à la diffusion de l'idéologie néolibérale. S'il donne l'illusion que tout le monde peut entreprendre, il prépare d'abord les fractions les moins dotées de la jeunesse diplômée à l'occupation de positions précaires aux marges du salariat (micro-entrepreneuriat, par exemple) tandis qu'il permet à une jeunesse dorée d'accéder à de nouvelles positions valorisantes (dans l'univers des start-up, notamment).
L'enseignement supérieur est ainsi appréhendé à la fois dans ce rôle inédit de laboratoire des idéologies capitalistes – quand l'Université avait, du moins depuis 1968, plutôt fait figure de lieu de la critique sociale –, mais aussi de " cible " pour des modèles qui, en la pénétrant, en subvertissent en partie les objectifs et les modes de fonctionnement.
Introduction
De quoi l'entrepreneuriat est-il le nom dans l'enseignement supérieur ?
Une sociologie des relations entre monde académique et monde économique
Enquêter (tout) contre son objet
1. L'éducation à l'entrepreneuriat : genèse d'une cause
Ouvrir l'École à son environnement économique ? Une controverse ancienne
La cristallisation de la cause (1970‑2010)
2. L'" entrepreneuriat étudiant " : l'invention d'une politique à bas bruit
La requalification éducative d'un problème économique
L'administration au travail
Gouverner les conduites : les instruments d'une
soft politique
3. Les pédagogies de l'entrepreneuriat, entre normes académiques et normes de l'entreprise
Des courtiers de l'entreprise en milieu académique
Le paradoxe d'une " pédagogie du ludique " tournée vers le " réel "
Le règne des " savoir-être "
Une (relative) mise aux normes académiques de l'entrepreneuriat
4. Usages pluriels et ambivalences idéologiques de la raison entrepreneuriale
Un usage économiciste : fabriquer des entrepreneurs
Un usage socio-éducatif : accompagner les jeunes dans leurs projets
Un usage " interne " au service de la transformation de l'enseignement supérieur
Les usages démotivés d'une bureaucratie émergente
Des usages pluriels au pouvoir de l'institué : la légitimation de l'" esprit du capitalisme "
5. Du côté des étudiants : l'inégale accessibilité sociale des vertus émancipatrices de l'entrepreneuriat
Se former à l'entrepreneuriat... pour devenir salarié
" Échapper à Décathlon " : l'entrepreneuriat comme tentative de résistance à la dévaluation des petits et moyens diplômes
" Échapper à L'Oréal " : l'entrepreneuriat comme nouvelle forme de domination des élites
Conclusion
Le nouvel esprit de l'enseignement supérieur
Les promesses non tenues de la promotion de l'entrepreneuriat individuel
Remerciements