Comment est-on passé de la dénonciation de la " maternité esclave " par le MLF (Mouvement de libération de la femme) à la culpabilisation des mères ? De quelle manière la toute-puissance exercée par les parents sur leurs enfants a-t-elle cédé la place à l'encadrement des mères et des pères par les professionnels de la santé et de l'éducation ?
Interrogeant pour la première fois ces évolutions paradoxales, Sandrine Garcia donne à voir comment, durant la lutte pour la régulation des naissances, de nombreux médecins dénoncent le magistère moral exercé par un Ordre des médecins majoritairement catholique, au profit d'une autorité se voulant uniquement scientifique. Puis, revisitant les étapes majeures de la construction de la " cause de l'enfant ", l'auteure montre comment nombre de psychanalystes de l'enfant - en particulier Françoise Dolto - investissent massivement le champ de l'éducation : le destin des femmes passe désormais par le bien-être de l'enfant tel que le définissent ces experts.
Ce brouillage des registres entre clinique et morale aboutit, aujourd'hui, à la dénonciation d'une nouvelle maltraitance : la " violence éducative " qu'exerceraient les parents réfractaires aux bons usages. D'où l'émergence d'un militantisme individuel et institutionnel pour faire sanctionner les " déviances " parentales, au risque de stigmatiser les pratiques les plus éloignées de la norme incarnée par les classes moyennes : celles des milieux populaires.
Sandrine Garcia est maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-Dauphine et enseignante chercheuse à l'IRISSO (Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales). Ses recherches portent sur l'expertise et la mobilisation des savoirs scientifiques dans les luttes sociales ou/et les politiques publiques, ainsi que sur les formes de naturalisation du social. Elle notamment l'auteure de Mères sous influence (La Découverte, 2011).
Introduction
I / Familles nombreuses ou familles heureuses ?
1. L'émergence de la lutte pour la libre maternité
Le Deuxième sexe et le renouvellement des luttes féministes
Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé : naissance d'une vocation
La création de Maternité heureuse
La rupture avec le PC
2. Des médecins novateurs
Des raisons professionnelles et politiques de s'engager
Des trajectoires professionnelles contrariées
D'un mouvement d'opinion à une action institutionnelle
II / La sécularisation de la morale médicale
3. Des entrepreneurs de morale
La rationalisation de la procréation : vers l'" enfant de qualité " et l'épanouissement de l'humanité
Le double front de la lutte des classes
Le rempart du féminisme paternaliste
4. L'invention d'un pôle d'expertise légitime
L'élargissement du recrutement
Une science moralement fondée
5. Le tournant de l'avortement
La psychanalyse contre les indications médicosociales
Le recrutement de l'ANEA
La constitution du MLAC et la crise du Planning familial
III / La construction psychanalytique d'une " cause de l'enfant "
6. Des politiques sanitaires à la psychanalyse de l'enfant
La naissance d'une orthopsychanalyse française
La diffusion de la psychanalyse de l'enfant dans la pédiatrie institutionnelle
Des politiques de lutte contre les troubles de l'attachement
7. Françoise Dolto : la conquête d'une autorité savante
L'institution d'un magistère moral
Subversion des catégories et logiques de distinction
Transfiguration du familialisme catholique et ordre naturel des genres
L'incompétence des mères et le savoir de l'expert
8. La production d'une doxa scolaire " révolutionnaire "
Le monopole lacanien de la radicalité
" Idéologie du don " et révolte d'héritiers
IV / La construction des " déviances parentales "
9. Des engagements psychanalytiques au service de la parentalité
Les conférences sur la parentalité
Les " lieux d'accueil enfants-parents "
10. De l'enfant sujet à l'enfant victime
La criminalisation des " déviances parentales "
La montée en puissance d'une expertise européenne
Éduquer les parents, réprimer les déviants
11. L'affaiblissement du monopole de la psychanalyse
L'appropriation de l'héritage
Psychologisation et médicalisation de l'échec scolaire : redéfinition de la dyslexie
" Doxa " pédagogique et inégalités sociales
Conclusion
Remerciements.