Depuis le XIXe siècle, les révolutions ont toujours affiché une prescription mémorielle : conserver le souvenir des expériences passées pour les léguer au futur. C'était une mémoire " stratégique ", nourrie d'espérance. En ce début de XXIe siècle, cette dialectique entre passé et futur s'est brisée et le monde s'est enfermé dans le présent. La chute du communisme n'a pas seulement enterré, une fois pour toutes, la téléologie naïve des " lendemains qui chantent ", elle a aussi enseveli, pour un long moment, les promesses d'émancipation qu'il avait incarnées.
Mais ce nouveau rapport entre histoire et mémoire nous offre la possibilité de redécouvrir une " tradition cachée ", celle de la mélancolie de gauche qui, comme un fil rouge, traverse l'histoire révolutionnaire, d'Auguste Blanqui à Walter Benjamin, en passant par Louise Michel ou Rosa Luxemburg. Elle n'est ni un frein ni une résignation, mais une voie d'accès à la mémoire des vaincus qui renoue avec les espérances du passé restées inachevées et en attente d'être réactivées.
Aux antipodes du manifeste nostalgique, ce livre – nourri d'une riche iconographie : des tableaux de Courbet aux affiches soviétiques des années 1920, des films d'Eisenstein à ceux de Théo Angelopoulos, Chris Marker ou Ken Loach – établit un dialogue fructueux avec les courants de la pensée critique et les mouvements politiques alternatifs actuels. Il révèle avec vigueur et de manière contre-intuitive toute la charge subversive et libératrice du deuil révolutionnaire.
Enzo Traverso est né en Italie en 1957, il a enseigné les sciences politiques à l'Université de Picardie Jules Verne. Il est professeur de sciences humaines à Cornell University (New York). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages traduits en une quinzaine de langues. Parmi ses derniers travaux, Le Totalitarisme (Seuil, 2001), La violence nazie (La Fabrique, 2002), À feu et à sang. La guerre civile européenne 1914-1945 (Stock, 2007 ; Hachette-Pluriel, 2009). À La Découverte, il a publié Les Juifs et l'Allemagne (1992), L'Histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle (2010, 2012), La Mélancolie de gauche. La force d'une tradition cachée, XIXe - XXIe siècle (2016), et Révolution. Une histoire culturelle (2022).
2016-10-03 - Toute la culture
Avec Mélancolie de gauche, Enzo Traverso, professeur de science politique à l'université Cornell (État de New York), se confronte au rapport de la gauche à ses propres défaites. Sans nier l'importance de la chute du mur de Berlin, il montre qu'a toujours existé, dans la culture de gauche, une certaine disposition d'esprit mélancolique. A côté et contre le récit épique de l'irrésistible avancée du peuple vers le socialisme, présent notamment dans le stalinisme, il a en effet existé d'autres récits, épars et minoritaires, reposant sur la douloureuse mémoire des défaites passées.
2016-10-05 - Samuel Hayat - Libération
Redécouvrir une mélancolie, propre mais cachée, de la " culture de gauche ", comme y invite l'historien Enzo Traverso, n'est ni un aveu d'impuissance, ni céder à une sorte d'esthétisation complaisante d'une faillite. C'est, au contraire, se réapproprier le " legs des luttes libératrices " d'hier, et ainsi, sans s'illusionner pour autant, se prendre à espérer de nouveau. Quand bien même le marxisme occupe une place de première importance dans cette histoire, les expressions de cette mélancolie sont nombreuses et contrastées. Traverso les cherche dans l'histoire. Si 1989, " moment de cristallisation symbolique d'une séquence d'accumulation de défaites ", et les années qui suivront, sont propices à ces sentiments de dépossession sans alternative, d'autres ont marqué la conscience de gauche.
2016-11-07 - Arnaud Saint-Martin - L'Humanité
Introduction
1. La mélancolie des vaincus
Naufrage avec spectateur
La gauche vaincue
La dialectique de la défaite
Généalogies
Les antinomies de Walter Benjamin
Le pari mélancolique
2. Marxisme et mémoire
Entrée de la mémoire, sortie du marxisme
Mémoire du futur
Mythe et mémoire
Le futur passé
3. Images mélancoliques. Le cinéma des révolutions vaincues
L'histoire-caméra
La restauration d'après-guerre
Révolutions coloniales
Lieux de mémoire
Ombres Rouges
Fantômes espagnols
Souvenirs de Santiago
U-topie
4. Spectres du colonialisme
Marx et l'Occident
La matrice hégélienne
" Peuples sans histoire "
Violence et révolte
Héritages
Clivages
5. La concordance des temps
Portbou
Paris
Réinterpréter Marx
Synchronies : 1940 et 1990
Historicisme
Révolutions
Utopie
Conclusion
Remerciements
Liste des illustrations.