Le bilan humain de la catastrophe de Tchernobyl d'avril 1986 a été définitivement figé avec le rapport adopté en 2006 par l'ONU et les gouvernements biélorusse, russe et ukrainien. Ce bilan minore considérablement le nombre de victimes, car il " ignore " de nombreuses séquelles constatées chez les millions de personnes exposées aux retombées radioactives et chez les 800 000 " liquidateurs " de l'accident. Et, en octobre 2011 un expert russe qui avait coordonné la rédaction de ce rapport a affirmé au Japon que la santé de la population touchée par les rejets radioactifs de la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, ne serait pas affectée...
Comment expliquer cette scandaleuse culture du déni des effets de la radioactivité ? En se plongeant dans les archives, en remontant aux premiers usages intensifs des rayons X et du radium. C'est ce qu'a fait Yves Lenoir pour ce livre où il retrace la surprenante histoire de la construction progressive d'un système international de protection radiologique hors normes au sein de l'ONU, qui minore systématiquement les risques et les dégâts des activités nucléaires.
On apprend ainsi comment les promesses de l'" énergie atomique " civile ont fait l'objet dans les années 1950 d'une intense propagande au niveau mondial : non seulement cette énergie satisfera sans danger les besoins de l'humanité, mais l'usage généralisé de faibles doses de radioactivité permettra de décupler la production agricole ! Surtout, Yves Lenoir révèle que les normes de protection des travailleurs de l'énergie atomique ou des populations qui pourraient être exposées après un accident nucléaire ont été définies par une poignée d'experts, en dehors de tout contrôle démocratique. Il explique leurs méthodes pour construire une " vérité officielle " minimisant les conséquences de Tchernobyl. Et comment ces procédés ont été mis en œuvre, en accéléré, après Fukushima. Une remarquable enquête historique, riche de nombreuses révélations.
2016-04-01 - Dominique Leglu - Sciences et Avenir
L'auteur commence par pilonner la distinction atomique/nucléaire qui fut introduite dans les années 1950 et les esprits pour défaire le lien entre la bombe et l'énergie nucléaire. Les centrales sont bel et bien atomiques. Tout est fait pour le faire oublier, depuis l'accident d'octobre 1957 dans le nord-ouest de l'Angleterre, quand un réacteur de Windscale s'est enflammé, diffusant son iode radioactif jusqu'en Norvège. Pour sauver la réputation de l'atome civil, l'OMS invente alors les cinq piliers de la communication de crise, toujours en vigueur : le déni (accident pas si grave, tout va s'arranger), les mensonges sur la santé (la peur d'avoir été irradié induit plus de maladie que l'irradiation elle-même), le dénigrement de la pensée humaniste, la rétention d'information, la saturation de l'espace médiatique.
2016-05-05 - Anne Crignon - L'Obs
Yves Lenoir ne cache pas son opposition à l'usage de l'énergie nucléaire pour ses applications militaires et civiles. Mais en quarante ans de recherches sur les effets des radiations, il a accumulé une quantité impressionnante d'archives, de témoignages et de documents sur les pathologies et les souffrances endurées par les liquidateurs de Tchernobyl, les habitants de sa région, et en particulier les enfants – il préside l'association Enfants de Tchernobyl Belarus. C'est le point de départ de son ouvrage, qui tente de remonter le fil de l'occultation de cette tragédie, jusqu'aux plus hautes instances d'une bureaucratie internationale inconnue du grand public. Son livre est une enquête détaillée sur la création, puis le fonctionnement en toute opacité, dans une culture persistante de l'entre soi, des instances internationales de radioprotection, placées sous l'égide de l'ONU. Il fait aussi l'hypothèse d'un imaginaire de la radiation, commun aux concepteurs de l'armement nucléaire (depuis le Manhattan Project dans les années 1940) et aux promoteurs de son utilisation en médecine et en production d'électricité.
2016-05-08 - Jade Lindgaard - Mediapart
Introduction. Face à la radioactivité, garder raison
1. Tchernobyl, acte 1 : avril-mai 1986... et trente ans après
Les habitants de Pripiat, aux premières loges d'un spectacle radioactif
Contradictions officielles et témoignages des évacués de Pripiat
Le déni du désastre
Deux interventions contrastées : Vassily Nesterenko contre le CIPR et l'UNSCEAR
Le pronostic précoce du docteur Jammet, " pape " de la radioprotection mondiale
La terrifiante réalité mesurée par Vassily Nesterenko
Trente ans plus tard : deux récits inconciliables des séquelles de la catastrophe
La déférence des médias envers les experts officiels
2. Rayons X et radium, les découvertes fondamentales (1895-1940)
Quand des rayons invisibles bouleversent la vision du monde
La découverte du radium : enthousiasme général et premières victimes
Un marché riche d'applications, les risques en question
Se rassurer et calmer les craintes du public, expérimenter encore et toujours...
La radioprotection internationale s'organise : les fulgurants débuts de Lauriston S. Taylor
Découvertes en série et nouvelles perspectives
La doctrine de la radioprotection internationale prend forme
La radioprotection d'avant la
Big Science est mal partie
3. La bombe, Hiroshima et Nagasaki (1940-1950)
Le " Manhattan Project " : fabrication de la bombe atomique et nouveaux défis pour la radioprotection
Expériences sur les effets de la radioactivité
Lauriston Taylor réapparaît, les bombes sont prêtes
Les deux grandes " expérimentations humaines ", Hiroshima et Nagasaki
La mise en place de l'Atomic Bomb Casualty Commission à Hiroshima
L'échec de l'étude génétique des conséquences d'Hiroshima, caché par un subterfuge
L'impossible bilan des retombées radioactives d'Hiroshima et Nagasaki
4. L'atome fantasmé de l'après-Hiroshima
L'émergence d'une religion pour l'" âge atomique "
1946-1948 : les pontes de la médecine fous de l'atome aux origines de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)
Le mythe très politique du rôle de la bombe atomique dans la défaite du Japon
1953 : l'option " tout atomique " du président Dwight D. Eisenhower
Le rôle fondateur des " risques calculés " des essais atomiques du Nevada
5. L'atome organisé, l'atome banalisé, l'atome normalisé...
À l'issue de la guerre, de grandes incertitudes sur les effets des radiations
1946 : la réactivation du NCRP et la renaissance de la CIPR
1947 : Lauriston Taylor verrouille les règles de fonctionnement du tandem NCRP/CIPR
Un événement fondateur : la première conférence tripartite de 1947 (États-Unis, Canada et Royaume-Uni)
" Philosophie " de la radioprotection : incertitude, banalisation du risque, standardisation du sujet
La refondation de la CIPR et son résistible essor (1950-1954)
6. La bombe façonne l'histoire (1946-1954)
La naissance de l'OMS, sous le charme d'un psychiatre manipulateur
Brock Chisholm, premier directeur général de l'OMS
L'irruption dans le débat public de la question des séquelles génétiques des irradiations
Casse-tête génétique : la quête de la " dose doublante "
Eisenhower en 1953 : " Atoms for peace " et la bombe H
Mars 1954 : le tir
Bravo de Bikini et le drame du
Fukuryu Maru 5 et des thoniers japonais
7. Cliniciens contre généticiens : le conflit structurant sur les effets des radiations (1954-1959)
Comment la fausse promesse d'une " bombe propre " a convaincu Eisenhower de poursuivre les essais atomiques
1954-1955 : haro sur le "
new emotionalism in research " !
Comment l'OMS a décidé, en 1955, de sous-traiter la radioprotection à la CIPR
1955-1957 : querelles de généticiens, champ libre pour les cliniciens
L'organisation des instances internationales de la radioprotection
Énergie atomique et santé mentale : le retour du docteur Chisholm
1958 : comment l'OMS a établi la stratégie de communication à suivre pour l'implantation des centrales et après un accident nucléaire
L'accord OMS-AIEA de 1959
8. 1957 et 1979 : deux accidents graves bousculent la culture de la radioprotection
Automne 1957 : explosion à Kychtym, incendie à Windscale
La mise à l'écart de Karl Morgan
1979 : l'accident de Three Mile Island
Passage du témoin à la CIPR et à l'UNSCEAR : de Lauriston Taylor et Gioacchino Failla à Dan Beninson et Henri Jammet
Henri Jammet, efficace stratège de l'establishment atomique français
9. Tchernobyl, actes 2 et 3 : sauvetage de l'énergie atomique et dégâts humains collatéraux
Les germes des mensonges et des dénis
Mensonges et secret d'État : le replâtrage de la façade atomique
La croisade spontanée des croyants
Le mythe de la radiophobie
1989 : la Biélorussie découvre la scandaleuse vérité sur l'ampleur des contaminations radioactives
L'engagement décisif de Vassily Nesterenko
L'OMS, caution suprême
Quand l'UNSCEAR " mouchait " Kofi Annan
Belrad, contre vents et marées
10. La vérité officielle, les arrivistes et le " grand retour du nucléaire "
Moscou, 1990 : les terrifiantes révélations du professeur Sergueï Kozulin
Des recrues zélées minimisent les conséquences de Tchernobyl
2006 : la publication officielle, pour solde de tout compte, du Chernobyl Forum Report...
... et le démenti implacable du livre de Yablokov et des Nesterenko
Tchernobyl provoque des changements à la CIPR... mais aucune remise en cause
11. 11 mars 2011, Fukushima entre dans l'histoire
Nagasaki, février 2011 : une rencontre des spécialistes mondiaux de la radioprotection qui ne servira à rien
Fukushima, 11-16 mars 2011 : Yoshida Masao " chevauche dans la tornade "
Les défaillances des dirigeants de TEPCO et de l'autorité de sûreté...
...aggravées par le comportement du gouvernement japonais
Le gouvernement ne prescrit pas la distribution d'iode stable, la CIPR s'abstient d'intervenir " à chaud "
L'homme dans la place, Yamashita, et le " cheval de Troie " Balonov
" ETHOS in Fukushima " : la " geste humanitaire et éthique " du duo CIPR-CEPN
Épilogue. Dissiper le charme du " système atomique "
Le régime d'exceptions des instances de la radioprotection
Faire entrer les effets des radiations atomiques dans la science de droit commun
La CIPR, maillon faible du " système atomique " ?
Aux politiques d'assumer, aux citoyens de se mobiliser
Remerciements
Glossaire des sigles
Index.