L'intérêt souverain
Essai d'anthropologie économique spinoziste

Frédéric Lordon

La science économique utilitariste domine largement le champ des sciences sociales. À ses yeux, tout n'est que comportements intéressés et calculateurs. Si une bonne partie de la sociologie s'est rendue avec armes et bagages au paradigme de la théorie du choix rationnel, tous ses courants n'ont pas cédé. Ainsi, par exemple, le Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales (MAUSS), pour qui les faits de donation et de solidarité échappent à l'empire théorique de l'économicisme. Pour salutaire qu'elle soit, la réaction anti-utilitariste verse néanmoins souvent dans l'exaltation naïve du désintéressement. Est-il possible de sortir de cette antinomie finalement improductive opposant utilitarisme étriqué et apologies enchantées du geste donateur ?
C'est à cette question qu'entend répondre ce travail, à partir d'un concept élargi d'intérêt emprunté à Spinoza : le conatus. Mouvement par lequel " chaque chose s'efforce de persévérer dans son être ", le conatus est l'expression de ce qu'une existence est fondamentalement intéressée à elle-même, et qu'il n'est pas une de ses actions qui ne soit la manifestation de cet " intérêt à soi ". C'est alors toute une anthropologie économique et sociale qui se réordonne dans la perspective ouverte par Frédéric Lordon. De la prise violente à l'achat économique, en passant par l'échange symbolique et tous les registres du don, il n'y a rien d'autre que les expressions de l'intérêt-conatus souverain, et ses métamorphoses.


Version numérique : 10.99 €
Facebook Instagram Youtube BlueSky LinkedIn
Détails techniques
Collection : La Découverte Poche / Sciences humaines et sociales
Parutions : 16/01/2014
Format : EPub
ISBN numérique: 9782707181855

Frédéric Lordon

Frédéric Lordon est chercheur en philosophie au CNRS.

Table des matières

Préface inédite (2011)
Introduction
L'utilitarisme, ou les promesses de la " vraie science "
La première sociologie comme anti-utilitarisme
Un anti-utilitarisme contemporain : le MAUSS
Théorie du don ou politique de l'espérance ?
L'anthropologie enchantée du don, ou les embarras du wishful thinking
Le tourment de l'intérêt
L'intérêt-conatus
Les terreurs du prendre
Structures et pratiques du don
1. Le problème des choses
Le conatus, pronation et péril
Le don, antidote social du prendre sauvage
Le don/contre-don : refoulement et sublimation des pulsions élémentaires du conatus
Les relations des hommes aux choses précèdent les relations (sociales) des hommes entre eux
2. L'économie : dangereuse et ignoble
Prendre, acheter
Détacher les hommes de leurs choses
Contenir la violence marchande
Alors l'opprobre
L'essor de l'économie marchande, ou le retour du refoulé
Les formes de la demande
Trois configurations historiques du " prendre "
3. Les jeux de l'intérêt
Le don cérémoniel, ses intérêts agonistiques... et ses intérêts prosaïques
Les faux-semblants de l'antidora
Craquements dans les fictions du don
4. La tragi-comédie des " bienfaits "
La compétition des bienfaits
De quelques bénéfices ramassés au passage
L'obsession de l'ingratitude
Phronesis du bienfait
Mnémotechnique de l'exaction
Redemander s'il le faut
Des lois contre l'ingratitude ?
Les bienfaits : comédie obligée et tragédie véritable
5. Conatus, interesse, timesis
Pour une idée intéressante de l'intérêt...
Les intérêts de générosité
L'intérêt utilitaire, ou le conatus parvenu au stade méthodique
Apprécier sans mesurer, évaluer sans calculer
6. Structures sociales et structures mentales de l'intérêt au désintéressement
Accorder aux conatus
Les profits déniés de la morale
Lutte des affects et psyché-champ de bataille
Le mensonge à soi-même du désintéressement
Conclusion : Antidotum
Lupus et Deus
La beauté perdue du don unilatéral
L'unité du don, la persévérance du groupe
Le travail de la méconnaissance
Vertu civilisationnelle de la forme
Bibliographie.