« Le jeune Karl Marx », film français, allemand et belge de Raoul Peck sort en France le 27 septembre 2017.
Il revient sur les années de formation de celui qui deviendra l'un des maîtres à penser du XXe siècle. Exilé à Paris avant d'avoir 30 ans, il y rencontre Engels, rédige avec lui Le Manifeste du Parti Communiste et entre ainsi dans l'Histoire.
Après avoir analysé l'œuvre de James Baldwin et son influence dans I am not your negro, Raoul Peck s'attaque dans son nouveau film à une autre figure majeure du 20e siècle : Karl Marx !
Qu'est ce qui a poussé le réalisateur Raoul Peck à s'attaquer à un "monument" tel que Marx ? Voilà sa réponse.
Il faut relier ce projet à un autre film, qui lui aussi a pris dix ans à se faire, I am not your negro, basé sur l'œuvre de James Baldwin. Ces deux films coïncident chez moi avec un moment de réflexion et d'inquiétude. Une inquiétude par rapport à ce que je ressentais du "Zeitgeist" ambiant, en cette période de "fin de l'Histoire" et de "fin des idéologies". Une époque qui se manifeste également par une suspicion de toute science ou de philosophie et un rejet de tout ce qui est politique. Ce qui a existé jusque-là est sensé être dépassé et on semble vouloir créer du nouveau à partir de rien. Ce qui, me semble-t'il, est utopique. Nous n'avons ni peuple de rechange, plus « pur » plus « sain » plus « avancé » avec lequel tout serait plus simple. Il nous faut malheureusement partir du réel. Ma réponse en tant qu'artiste et citoyen engagé, c'est de revenir aux fondamentaux. Pour moi, ce sont d'abord Baldwin, que j'ai lu très tôt dans ma jeunesse, et Marx, que j'ai longuement étudié très jeune aussi. Ma relation avec le sujet ne procède pas d'une décision intellectuelle. J'ai grandi avec Marx, j'ai avec lui un lien organique, fruit des quatre ans de séminaire sur le Capital que j'ai suivi à Berlin dans un cadre universitaire. Ces années ont été décisives dans ma manière de voir le monde, d'expliquer ma place dans ce monde, à une époque où l'on questionnait déjà sévèrement les dérives du capital dans l'Europe et dans le monde de manière très concrète, une époque de grands chamboulements avec la mise en doute de tous les dogmes qui avaient infesté l'époque et amené beaucoup de confusion.
J'ai choisi de parler du jeune Marx, dans cette période de sa vie où il est en train de se transformer de manière fondamentale. J'essaie de montrer quelles sont les étapes de cette transformation et ce qu'il en résulte. Mon film est d'abord l'histoire de trois jeunes européens avant la lettre, qui décident de changer le monde. De lutter ensemble contre une société d'oppression et de répression, à l'heure de la révolution industrielle et d'un monde des idées en plein bouleversement lui-aussi, avec Hegel notamment. C'est une période de basculement majeur des sociétés européennes vers un monde sans roi où les peuples font l'Histoire. Le paradigme est totalement différent mais les structures n'y sont pas encore adaptées, tout est à faire. Je ne soumets pas une vision quelconque, un héros à adorer. Je montre juste comment cela se passe pour Marx et ses amis, de jeunes bourgeois qui prennent le risque de tout mettre en doute, qui critiquent tout et, ne se contentant pas de critiquer, travaillent, s'engagent dans l'action au prix de l'exil et de la précarité, et se mettent en danger.
Mon approche du cinéma n'est pas d'entrer dans une catégorie prédéterminée, mais d'essayer d'aller le plus loin possible en faisant le moins de compromis possibles. Cela signifie être au plus près de la réalité, et déconstruire tout ce qu'Hollywood a élaboré en tant que genre pour que cette sorte de cinéma soit efficace. Mon travail c'est de désarçonner cette efficacité et de la mettre à mon service, d'utiliser son vocabulaire mais pas forcément sa syntaxe ou sa grammaire. Mon cinéma doit me permettre de penser et repenser le monde dans lequel je suis. Cela a des conséquences dans le choix du sujet, comme dans la forme pour l'aborder.
Si je fais un biopic classique, je reproduis ce qu'Hollywood sait très bien faire et qui consiste à maintenir le spectateur dans sa bulle d'un monde maitrisé, heureux, parfois confronté à un méchant mais que l'on parvient toujours à vaincre à la fin. J'oppose à cela une approche « marxiste » (et non dogmatique ! ) : quand on fait quelque chose qui est critique, on est obligé de critiquer les instruments dont on se sert et le processus lui-même. Je dois essayer d'atteindre ce public qui est habitué à une certaine vision du cinéma et à une vision de lui-même et de son histoire, en lui donnant suffisamment d'éléments pour qu'il me suive y compris là où il n'est jamais allé. C'est bien sûr un exercice complexe.
Dans Le jeune Karl Marx, j'ai une approche presque documentaire afin de faire ressentir le moment où les choses se passent, ressentir les hommes et les femmes, sentir les odeurs, la réalité humaine. Donc, il faut s'éloigner du dogmatisme et du politique stricto sensu. Ce n'est pas du cinéma militant ! En revanche, je fais un cinéma de citoyen engagé. Être citoyen c'est s'occuper des affaires de la cité.
Conseils de lecture :
Introduction à Marx - Pascal Combemale
Cette introduction s'adresse aux lecteurs qui veulent forger leur propre jugement, tout en ayant besoin d'un guide facilitant la compréhension des textes originaux. Elle prend comme fil directeur Marx lui-même, c'est-à-dire sa vie, sa trajectoire, indissociablement politique et intellectuelle, afin de mettre en relief un sens critique dévastateur, une pensée ouverte, animée par l'espoir d'une émancipation radicale.
La philosophie de Marx - Étienne Balibar
Étienne Balibar tente ici un double pari : rendre accessibles les thèmes et les problèmes proprement philosophiques qui ont été traités par Marx ou qui peuvent être posés à partir de son œuvre et - au terme d'un siècle et demi de controverses passionnées dont la « philosophie marxiste » a été le lieu ou l'enjeu - proposer les éléments d'un bilan et d'un pronostic.
Pour aller plus loin, comment Marx continue d'influencer les penseurs actuels :
Depuis la Critique de la raison dialectique de Sartre, Althusser est le seul philosophe à proposer une interprétation vraiment originale des œuvres de Marx ».
Marx & Foucault - Christian Laval, Luca Paltrinieri, Ferhat Taylan (dir.)
Marx et Foucault : deux œuvres, deux pensées sans lesquelles on ne peut saisir le sens de notre présent. Une lecture croisée de Marx et Foucault au centre des contributions de cet ouvrage et qui ouvre sur un espace fécond pour l'avenir de la pensée critique.
Sauver Marx ? - Pierre Dardot, Christian Laval, El Mouhoub Mouhoud
Une lecture critique d'Empire et de Multitude d'Antonio Negri et Michael Hardt, qui ont entrepris de réviser le marxisme d'une façon créatrice et originale, et qui renoue avec la meilleure tradition et la vivacité de la discussion théorique et politique.
Et enfin une touche d'humour avec une explication du marxisme illustrée par le talentueux et toujours acide Charb
Marx, mode d'emploi - Daniel Bensaïd, Charb
Qui fut Marx ? Qu'a-t-il vraiment dit ? Ce petit ouvrage qui a connu un large succès lors de sa première édition offre une introduction ludique à sa pensée, sa vie, son œuvre. Un panorama clair et souvent drôle qui présente, dans toute son actualité, la pensée du principal théoricien de l'anticapitalisme.